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Qui régnait sur ce riche pays, fertilisé par le Nil, et qu’y venaient faire 40,000 Français ? Comment étaient-ils faits, ces musulmans dont on ne parlait en France qu’avec une secrète terreur, car ils occupaient les côtes barbaresques d’Alger, de Tunis et de Tripoli, où, chaque année se vendaient, des centaines d’esclaves chrétiens, et d’où leurs tartanes s’élançaient pour infester la Méditerranée.

Jean Tapin n’allait pas tarder à voir de près, de trop près même, comment ils étaient faits.

La flotte avait à peine mouillé en rade d’Aboukir que les opérations du débarquement commencèrent, malgré le mauvais état de la mer, déferlant sur les rochers.

À minuit, la silhouette de Bonaparte apparaissait sur le sable du rivage, au clair de lune. Aussitôt on battait au ralliement, et, sans même attendre ses chevaux, le général en chef prenait la tête des bataillons débarqués et se mettait en route pour Alexandrie, distante de cinq à six lieues.

À huit heures du matin, sur le piédestal de la colonne de Pompée, il ordonnait l’assaut de la ville sur trois colonnes.

Un seul bataillon de la 9e demi-brigade, celui du commandant Scévola, débarqué de l’Orient, faisait partie de la colonne de Kléber.

Quand on ne fut plus qu’à deux cents mètres des hautes murailles crénelées, une fusillade se mit à crépiter au sommet du mur, et, sous l’impulsion des officiers, les compagnies s’élancèrent.

Il eût fallu des pièces de vingt-quatre pour abattre des murs de cette épaisseur, et aucun canon n’avait été débarqué ; mais une large brèche s’ouvrait sur la droite, dans une haute tour carrée, et, au milieu de la fumée, Jean entendit une voix puissante qu’il connaissait bien : c’était celle de Kléber.

— Par ici, les enfants !

Il se précipita ; déjà la haute stature du général se dressait au milieu d’une échelle, et une grappe humaine semblait accrochée à ses basques brodées d’or. En même temps que le capitaine Fix, Jean Tapin arriva au sommet de la brèche.

Mais ce fut pour voir Kléber tomber comme une masse, frappé d’une balle au front.

Il n’était pas mort pourtant, car la balle qui l’avait frappé n’avait plus assez de force pour pénétrer ; mais ses soldats qui l’adoraient le crurent tué,