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— C’est très bien, très bien vraiment… Dis-moi ton vrai nom, mon enfant.

— Jean Cardignac : mais mes camarades m’appellent Jean Tapin depuis Valmy… Alors, c’est ce nom-là que je préfère…

— Écris-le toi-même sur la première page de ce livre ; comme il ne me quitte jamais, tu es sûr que je n’oublierai pas. Et retiens bien ceci, poursuivit Bonaparte : si tu le veux, à la fin de la campagne qui commence, tu seras officier. Le veux-tu ?

— Oh ! général ! c’est impossible…

— Impossible ! Sache, mon enfant, que le mot impossible n’est pas français. Si tu le veux, et si ta bonne étoile te sauve du yatagan des Arabes, des fièvres et du soleil, tu seras officier, je te le répète, car, avec de la volonté, il n’y a pas d’obstacle.

Bonaparte avait disparu depuis quelques minutes, et Jean Tapin était encore à la même place, les yeux troubles, tremblant d’émotion.

— Quand je te disais que tu es né coiffé, s’écria le géant, lorsque son petit-fils adoptif, d’une voix frémissante, lui conta son entrevue avec le héros de Rivoli.

Ce qui est certain, c’est que, de ce jour, l’enthousiasme du petit volontaire de 92 pour la carrière des armes se doubla d’un fanatisme profond pour l’homme qui, à ses yeux, personnifiait la guerre.

Ce contact de quelques instants l’avait littéralement galvanisé.

Un invincible besoin d’activité le prit ; ne pouvant tenir en place, il consacra toutes ses heures de loisir à circuler dans les parties accessibles du vaisseau, à interroger les marins, à se rendre compte de tout ce qu’il voyait autour de lui. Il pénétra dans les magasins, prit part, lui aussi, à la manœuvre du canon, se glissa dans la cale, et jusque dans la soute aux poudres, apprit le maniement des voiles et le jeu du gouvernail.

Il lui arriva bien, pendant les premiers temps, de se perdre dans ce dédale des batteries hautes et basses, de buter dans des cordages et d’aller heurter des matelots moqueurs, lorsqu’un coup de roulis jetait le bâtiment de côté ; mais il était leste et agile, grimpait comme un chat aux échelles de corde, et était toujours prêt à rendre service.

Un jour, par une forte brise qui faisait tanguer fortement l’Orient, il monta au mât de grand perroquet pour aider un mousse à carguer une voile.