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la flotte anglaise, de savoir prendre rapidement le branle-bas de combat.

Quand on doubla la Sicile, le vent d’ouest s’engouffra dans les voiles et accéléra la vitesse, en donnant aux bâtiments des allures de dauphins bondissant sur les vagues.

Et de nouveau Jean Tapin, de grosses gouttes de sueur au front, alla se réfugier dans un coin où plusieurs s’était déjà mis à l’abri. C’était tout près du bordage, sous la passerelle du commandant. Il y trouvait la solitude relative qui lui était nécessaire pour faire ses confidences aux poissons.

Mais ce jour-là, la place était prise ; le rouleau de cordages sur lequel il s’asseyait d’habitude, la tête dans ses mains, était occupé par un officier qui lisait. Jean, portant instinctivement la main à son bonnet de police, se retirait précipitamment, lorsqu’une voix brève le rappela. Il tressaillit, car il lui semblait reconnaître cette voix.

— Eh ! mais, je ne me trompe pas, reprit l’officier, c’est mon jeune batailleur de l’autre soir. Dis, est-ce bien toi ?

Jean inclina la tête sans répondre.

— On a dû te calmer en te mettant aux fers, reprit l’officier dont la voix s’adoucissait.

— Oui, fit Jean très bas.

— On a bien fait ; les soldats n’ont pas le droit de se battre entre eux quand l’ennemi n’est pas loin : pendant la guerre, tu dois ton sang à la France, petit, et tu ne peux en disposer ailleurs ; comprends-tu cela au moins ?

Jean fit signe qu’il comprenait ; très intimidé d’ailleurs par le ton autoritaire de son interlocuteur, il leva la tête, rencontra deux grands yeux noirs fixés sur lui, et n’osa regarder l’inconnu qu’il supposa être le commandant du bord.

— Allons, dit l’officier, assieds-toi là auprès de moi et causons.

Jean n’était guère d’humeur à soutenir une conversation ; mais il ne pouvait se soustraire à l’invitation qui lui était faite. Il jeta de nouveau un rapide regard sur l’officier, pour reconnaître son grade, ne vit aucun galon, aucune broderie sur les manches, aucun insigne sur les épaules et, à tout hasard, se rappelant que les marins employaient souvent cette appellation :

— Oui, commandant, répondit-il ; mais je suis… je ne sais, je suis…

— Oui, tu es mal à ton aise : il n’y faut pas penser, ni regarder la mer ; il faut penser à autre chose ; à tes parents, par exemple.

— Je n’ai plus de parents.