Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 1, 1901.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais le marin haussa de nouveau les épaules, en branlant sa grosse tête et grommela entre ses dents :

— Si c’est pas pitié d’encombrer des bateaux de soldats comme ça !

— Pitié ! s’écria Jean, dont les joues s’empourprèrent ; mais je suis soldat comme tu es marin… et j’étais à Valmy, et à Mayence, et à Fleurus. Et toi ? où étais-tu pendant ce temps-là ?

Et comme le timonier continuait à ricaner.

— Tu n’étais toujours pas sur le Vengeur puisque nul n’en est revenu…alors de quel droit me parles-tu ainsi ?

— Toi, à Valmy ! fit le marin… en voilà une bl…

Il n’acheva pas le mot : Jean, posant son fusil contre le bordage, avait bondi sur lui le poing fermé.

On les sépara.

— Allons, blanc-bec, fit le timonier : je vois que c’est une correction qu’il te faut : eh bien ! tu l’auras.

— Tout de suite ! s’écria Jean exaspéré.

— Tu dis des bêtises, reprit le matelot tranquillement, en montrant les officiers de marine qui, du haut de la dunette, regardaient curieusement la scène ; mais ajouta-t-il, en baissant la voix, si tu veux, trouve-toi ce soir au pied du mât de misaine et tu seras servi.

— Entendu.

— Quelle est ton arme ?

— Mon arme ? fit Jean que les questions de duel n’avaient guère préoccupé jusque-là…

— Oui, ce n’est pas le canon que je suppose, dit le timonier dans un gros rire.

— Trêve de plaisanterie ! fit Jean les poings serrés, et choisis-la toi-même ; ça m’est égal !

— Veux-tu le sabre d’abordage ?

— Je veux bien.

— Alors à la nuit tombante… avec deux témoins, au pied du mât de misaine.

— J’y serai.

Et Jean, reprenant son fusil, rejoignit sa section, dont plusieurs hommes avaient entendu l’origine de la dispute.