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passage des défenseurs de Mayence ; des fenêtres on leur jetait des fleurs et des couronnes. Hâves, pâles, leurs vêtements en loques, mais leurs armes brillantes et le regard assuré, les hommes marchaient alignés et au pas, sous le grondement des tambours et les acclamations des Parisiens.

Jean sentit alors une grande émotion l’envahir au contact de cet enthousiasme populaire. Cet accueil des citoyens d’une même patrie est en effet la plus douce récompense du soldat victorieux, le rayon le plus pur de la gloire acquise sur les champs de bataille.

Son regard tomba sur le drapeau qu’un officier portait derrière le colonel, entouré des plus vieux sous-officiers du corps ; l’étoffe en était noire et les couleurs passées ; de glorieuses déchirures le zébraient près de la hampe, et mieux que jamais l’enfant comprit tout ce que le culte de cet emblème, qu’il avait suivi de la Seine jusqu’aux bords du Rhin, et qui revenait de si loin escorté par le régiment décimé, renfermait de noblesse et de grandeur.

Une femme, jeune et ravissante sous son bonnet de dentelles, distingua le petit tambour, s’approcha de lui, un bouquet d’œillets rouges à la main, marcha quelques minutes à ses côtés et lui attacha ses fleurs sur la poitrine, puis, se penchant vers lui, l’embrassa.

Autour d’eux les acclamations redoublèrent et Jean, très rouge, s’interrompant de battre, prit sa course pour rattraper sa place, sous le sourire indulgent du tambour-maître.

Il y avait juste onze mois qu’il avait quitté la grande ville par ce même faubourg, sans famille, sans autre avenir que celui dont il voyait, dans ses rêves d’enfant, le séduisant mirage. Par la force de sa jeune volonté, il avait forcé les premiers sourires de la fortune, et rapportait, de cette première campagne, une récompense dont un vieux soldat eût pu s’enorgueillir. Il était estimé de ses chefs, adoré des soldats qui tous le connaissaient et, grâce à son instruction développée un peu chaque jour par l’observation et la lecture, il pouvait, à l’aurore de ce siècle d’égalité, prétendre à un avenir brillant.

Mais c’était surtout à son ancien maître qu’il songeait, quand la 9e demi-brigade arriva devant le Louvre, et il ne voulut pas remettre au lendemain plaisir de la surprise qu’il lui ménageait.

Lorsque, après avoir traversé fièrement la rue de la Huchette, dans son uniforme élimé, rapiécé et devenu trop court, il apparut, vers le soir, sur le