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« Mon garçon, tu me coûtes par jour environ seize sols de nourriture, je te loge, maîtresse Sansonneau paie ton blanchissage… Puisque tu es si savant, tu peux compter ce que ça fait au bout de l’an. Tu n’es qu’un ingrat, tu n’as pas su reconnaître mes bienfaits lorsque j’ai consenti à te garder, après la mort de ton père, pour te mettre à même de te faire une position. Mais c’est fini !…Enlève ton tablier et va où tu voudras chercher de l’ouvrage. Allons ! dépêchons !… »

L’enfant pâlit ; une larme perla sur le bord de ses cils noirs, son regard chercha les yeux de maître Sansonneau, et une supplication monta à ses lèvres :

« Oh ! patron, murmura-t-il, je ferai mon possible pour vous contenter. »

Mais le gros homme était buté, sans doute ; peut-être aussi — car il n’était pas mauvais homme — voulait-il simplement donner une verte leçon à son apprenti ; en tous cas, il parut inébranlable.

« Non ! mon garçon, reprit-il, non et non ! J’en ai assez ! Demain ce serait à recommencer ! La seule chose que je puisse faire pour toi, c’est de t’autoriser à venir coucher ici jusqu’à ce que tu aies trouvé de l’ouvrage. »

Devant cette ferme déclaration, le gamin n’insista pas ; il refoula ses larmes ; lentement, il dénoua son tablier de grosse toile, le plia, et le déposa sur l’établi, pendant que maître Sansonneau retournait à sa boutique, la sonnette de la rue lui ayant annoncé un client.

Puis Jean Cardignac (c’était le nom du petit apprenti) monta un escalier situé au fond du laboratoire où se fabriquaient les chandelles, pénétra dans une étroite soupente mansardée qui lui servait de chambre à coucher ; là, il s’assit sur le bord de son lit de sangle et, sans contrainte, laissa couler ses larmes.

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Au moment où commence ce récit — en août 1792 — Jean Cardignac avait douze ans.

La France traversait alors une crise épouvantable dont elle n’est sortie que grâce au courage, à l’union, au patriotisme de tous les Français ; et aussi parce que nous sommes une race forte et pleine d’énergie.

L’ennemi, menaçant, s’apprêtait à envahir la France sur toutes ses frontières.

Au nord et à l’est, les Autrichiens et les Prussiens ; sur les Alpes, les