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non loin de là, la haute silhouette du colonel Bernadieu à pied — car, hors les généraux, aucun officier n’avait été autorisé à monter à cheval pour cette sortie de nuit.

Jean entendit le colonel dire à mi-voix :

— Bon sang ! qu’est-ce qui se passe ?

Masquée par les maisons, la neuvième n’avait pas souffert. Mais sur la gauche, on entendait des cris, des rumeurs : la lutte corps à corps s’engageait. Soudain un bruit de galop perça les ténèbres, en même temps que la voix connue de Kléber retentissait :

— Bernadieu ! Bernadieu ! rugissait-il, un bataillon face à gauche ! Foncez dessus ! Prenez-les en flanc ! La charge !… À la baïonnette !

Déjà l’ordre était transmis, et le commandant de Lideuil partait au pas de charge avec son bataillon et les tambours.

Jean suivait, quand Bernadieu le rappela :

« Reste avec moi ! » ordonna-t-il.

Le gamin obéit et put ainsi assister au colloque de Kléber et de Bernadieu.

« Le coup est manqué ! dit le premier… au moins ne perdons pas tout… Empoignez-moi le bétail du village et, lestement, faites-le filer sur Mayence.

— Bien !

— Une compagnie suffit. Avec le reste, occupez solidement le village pour menacer le flanc ennemi et protéger l’opération. Vite ! vite ! »

Ce ne fut pas long. La compagnie du capitaine Romain défonça les portes des étables, rassembla ainsi quarante vaches que les hommes entourèrent, les poussant, baïonnette au flanc, vers Mayence ; pendant que le reste de la neuvième gardait les issues du village et tiraillait dans le noir.

Jean Tapin, très ému (c’était, en effet, le premier combat de nuit auquel il assistait), avait grimpé sur une haute borne, pour voir un peu mieux.

À trois pas de lui, au coin d’une ruelle, il distingua la double silhouette de Bernadieu et de Kléber qui se détachaient par instants, sous la lueur rouge des coups de feu.

Sur la gauche, le bruit diminuait, s’éloignant.

Tout à coup, Jean aperçut avec stupeur un groupe de Hessois, la plupart en manches de chemise. Ils se glissaient avec prudence le long des maisons, par une rue latérale, et allaient déboucher juste derrière Kléber et Bernadieu.

Mais notre petit ami ne perdit pas la tête.