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Janvier et Février 1895
SAINT-MARTIN de RÉ


19 janvier 1895.
Ma chérie,

Jeudi soir, vers dix heures, on est venu me réveiller pour m’emmener ici, où je suis seulement arrivé hier soir. Je ne veux pas te raconter mon voyage pour ne pas t’arracher le cœur ; sache seulement que j’ai entendu les cris légitimes d’un peuple vaillant et généreux contre celui qu’il croit un traître, c’est-à-dire le dernier des misérables. Je ne sais plus si j’ai un cœur.

Ah ! quel sacrifice vous ai-je fait en vous promettant le soir de ma condamnation de ne pas me tuer ! Quel sacrifice fais-je au nom que portent mes pauvres chers petits, pour supporter tout ce que je subis ! S’il y a une justice divine, il faut espérer que je serai récompensé de cette longue et effroyable torture, de ce martyre de toutes les minutes et de tous les instants. L’autre jour, ton père me disait qu’il eût préféré être mort, et moi donc !… Je préférerais cent mille fois être mort. Mais ce droit, nous ne l’avons ni les uns ni les autres ; plus je souffre et plus cela doit activer votre courage et votre résolution pour trouver la vérité. Cherchez donc, sans trêve ni repos, en pro-