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LE CAPITAINE DREYFUS

vérité ne se fasse pas jour. D’ailleurs, il le faut, la volonté est un puissant levier.

À tout à l’heure, ma chérie, la joie de t’embrasser, de te serrer dans mes bras, je compte les minutes qui me séparent de cet heureux moment.

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3 heures et demie.

Le moment est passé, ma chérie, si vite, si court qu’il me semble que je ne t’ai pas dit la vingtième partie de ce que j’avais à te dire. Comme tu es héroïque, mon adorée, sublime d’abnégation et de dévouement ! Je ne fais que t’admirer.

Devant ce concours dévoué de sympathies et d’efforts, je n’ai pas le droit de douter.

Je souffrirai donc en silence ; permets-moi cependant, quand la coupe débordera encore parfois, de m’épancher dans ton cœur.

Ce qui m’est cruel, et je ne le saurais répéter assez, ce ne sont pas les souffrances physiques que j’endure, mais bien cette atmosphère de mépris qui entoure mon nom, ton nom, mon adorée. Tu sais si j’ai toujours été fier et digne, si j’ai toujours mis le devoir au-dessus de tout…, alors tu peux t’imaginer tout ce que je souffre.

Et c’est pourquoi encore je veux vivre, c’est pourquoi je veux crier au monde mon innocence, la crier chaque jour jusqu’à mon dernier souffle, jusqu’à ma dernière goutte de sang.

Je trouverai dans tes yeux le courage nécessaire au martyre, je puiserai dans le souvenir de mes