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LE CAPITAINE DREYFUS
Mardi, 1er janvier 1895.
Ma chérie,

Je n’ai pas reçu de lettre de toi ce matin ; cela me manque. J’en ai reçu plusieurs autres, il est vrai, mais oserai-je te dire que ce n’est pas la même chose ?

Hier, en me quittant, Me Demange espérait venir passer aujourd’hui quelques heures avec moi ; mais hélas ! peu après son départ, on me signifiait de suite le rejet de mon pourvoi, ce qui lui fermait dès lors la porte. Il a dû en être prévenu ce matin. Aussi passerai-je ma journée tout seul.

Quel triste jour de l’an, ma chérie ! Mais n’insistons pas sur un pareil sujet ; rien ne sert de pleurer et de gémir, cela n’ouvrira pas les portes de ma prison. Il faut, au contraire, conserver toute notre énergie physique et morale et ne pas arrêter un seul instant de lutter, de chercher à déchiffrer l’énigme. Que rien ne vous rebute, ne perdez jamais l’espoir. Tendez vos filets de tous côtés, le coupable finira bien par s’y faire prendre.

As-tu reçu une réponse au sujet de ta demande ? J’attends maintenant avec impatience le moment de te serrer dans mes bras.

As-tu acheté des jouets aux enfants ? Ont-ils été contents ? Je ne pense qu’à toi et à eux, je ne vis que dans cette pensée de voir un jour cet épouvantable cauchemar s’évanouir. Il me semble impossible qu’il en soit autrement ; nous y aiderons d’ailleurs, je te le promets.

Je t’embrasse comme je t’aime,

Alfred.
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