Page:Dragomirov - Guerre et paix de Tolstoï au point de vue militaire.djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 91 —

la totalité de ces 15 unités, l’auteur en déduit que 4 x = 15 y, soit 4 : 15 = y : x. Il en conclut imperturbablement que cet innocent exercice d’arithmétique détermine le rapport des deux inconnues et qu’il en découle une série de nombres qui contiennent les lois cherchées et où l’on peut les découvrir. On se demande pourquoi les 6 unités restantes ne jouent aucun rôle dans ce combat de fantaisie ?

Et voilà le langage d’un homme qui met le moral au-dessus de tout et qui pour cette seule raison aurait dû, ce semble, examiner un peu les propriétés de cette force étrange et insaisissable ! Même avec l’aide de l’analyse supérieure on n’est pas arrivé, jusqu’à présent, à réduire en formules bien des phénomènes produits par des forces inorganiques, et il s’imagine, lui, établir les lois du moral à l’aide des seules proportions. Singulière contradiction : voilà un homme qui, au nom du moral, a nié le rôle de tous les facteurs matériels et tout à coup le même homme se met à traiter le moral comme une chose matérielle et croit possible de l’évaluer en grammes, centigrammes, etc.

Inutile de soumettre à un examen critique, qu’elles ne méritent même pas, les fantaisies de Tolstoï sur le thème suivant : que la tactique commande de se masser pour l’attaque, de se disperser pour la retraite et que cette règle (?) prouve bien, quoique inconsciemment, que la force d’une troupe dépend de son moral ; si les Russes, au contraire, se sont dispersés pour poursuivre les Français c’est que leur moral était très remonté.

D’abord, quand on bat en retraite, le moral est presque toujours en défaillance ; donc ce n’est pas le moment de disperser ses forces, même d’après la théorie de l’auteur. En second lieu, la règle qu’il cite n’existe pas dans la tactique actuelle. Il y avait bien quelque chose d’approchant dans les billevesées de Bülow ; mais cela n’y provenait pas du rôle attribué au moral. C’était, au contraire, la conséquence de l’importance exagérée et exclusive attachée aux communications de l’armée. Ensuite le moral de notre armée en 1812 n’avait pas été moins bon pendant la retraite qu’il ne le fut plus tard pendant la poursuite et pourtant nos troupes ne se sont pas dispersées pour battre en retraite. Enfin, pendant la poursuite même, la masse principale de nos troupes ne s’est jamais divisée plus que ne l’exigeaient les conditions de la marche, et en tout cas, ses différentes fractions sont