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grand coup en disant que les maraudeurs filaient d’eux-mêmes précisément dans la direction de la route de Kalouga et des routes voisines. Assurément Tolstoï serait bien embarrassé de fournir des données statistiques pour confirmer son dire. Mais, sans le pousser si loin, il nous parait suffisant de faire remarquer que les maraudeurs sont des gaillards qui choisissent pour commettre leurs exploits toutes les directions quelles qu’elles soient, à la condition seulement qu’ils puissent espérer y trouver à bien vivre, sans crainte de rencontre fâcheuse avec l’ennemi. Ils avaient dû, par conséquent, très probablement se répandre à la fois sur les routes de Pétersbourg, d’Yaroslav et de Nijni, comme sur celle de Kalouga.

Mais reposons-nous un peu des raisonnements de l’auteur pour goûter la jouissance esthétique des scènes inoubliables qu’il nous dépeint : le conseil de guerre de Fily ; Moscou avant l’entrée des Français, une ruche d’abeilles sans sa reine, suivant la superbe expression de Tolstoï ; Napoléon attendant des boyards russes à la barrière de Dragomial. Une seule chose nous étonne. Comment, après nous avoir montré Koutouzoff prenant une résolution vraiment héroïque, une terrible détermination, et après lui avoir fait prononcer les nobles paroles historiques qui passent pour être réellement sorties de sa bouche, l’auteur peut-il retomber dans sa théorie que le commandant en chef n’a pas plus d’importance dans une armée que le dernier soldat, etc.

« Tout le monde attendait Benigsen qui, sous prétexte d’une nouvelle reconnaissance de la position, achevait un excellent dîner. On l’avait attendu depuis quatre heures jusqu’à dix sans commencer la délibération, en controversant pendant tout ce temps à voix basse par groupes séparés.

« Ce fut seulement au moment où Benigsen entra dans l’isba que Koutouzoff s’avança de son coin et s’approcha de la table, pas cependant assez près pour que son visage pût être éclairé par les bougies qu’on avait apportées sur la table.

« Benigsen ouvrit le conseil en posant la question : « Faut-il abandonner sans combat l’antique et sainte capitale de la Russie ou bien la défendre ? » Silence général et prolongé. Tous les visages restaient assombris et, au milieu du silence, on entendait la respiration embarrassée et colérique et la toux de Koutousoff. Tous les yeux étaient fixés sur lui. Malachka elle-même ne per-