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constances qui commandent ». Mais ce qu’elles commandent, on peut le comprendre plus ou moins bien et même pas du tout. Et c’est ce qui fait la distinction entre un bon et un mauvais commandant en chef. L’auteur ne s’imagine pas, j’espère, que toutes les unités d’une masse de cinquante mille hommes vont éprouver tout à coup le besoin de s’étendre le long de la Pakhra et l’exécuter ; bref, que l’armée serait passée sur la route de Kalouga, quand même Koutouzoff aurait ordonné la retraite sur celle de Nijni. Cela posé, peu importe de savoir qui a eu la première idée de passer sur la route de Kalouga. Ce point est absolument secondaire, et nous ne connaissons pas d’historien qui s’attardât sérieusement à le résoudre. Nous avons déjà eu maintes fois l’occasion de le faire remarquer : à la guerre, une idée n’appartient pas à celui qui y a songé le premier, mais bien à celui qui prend la responsabilité et la décision de son exécution.

Il est possible même, dans le cas particulier qui nous occupe, que la première impulsion ait été donnée par quelque médiocre adepte de la théorie de Bülow, par quelque aveugle fanatique des positions de flanc, prêt à les prôner à tort et à travers sans discernement, dont l’avis n’est pas tombé cette fois dans l’oreille d’un sourd parce que les circonstances prescrivaient le procédé. Encore fallait-il qu’il y eût dans l’armée quelqu’un d’occupé à suivre pas à pas le déroulement des circonstances pour y conformer les mouvements des troupes. C’est pourtant ce que l’auteur n’admet pas. Pour lui, la manœuvre a eu lieu parce qu’elle devait avoir lieu.

En s’évertuant à démontrer cette proposition étrange, l’auteur en arrive à dire que si l’on se figure a tout simplement une armée sans chefs, cette armée aurait fatalement exécuté le même mouvement ; en un mot, qu’elle serait revenue vers Moscou en décrivant un arc de cercle vers le côté où elle avait le plus de chances de trouver des approvisionnements et où le pays dirait le plus de ressources ».

Les Français ont bien raison de dire que : « Qui veut trop prouver ne prouve rien ». Car nous pourrions donner comme parallèle à l’argumentation de Tolstoï le conte d’un homme décapité qui agirait exactement comme s’il n’avait pas subi cette petite opération.

Plus loin, s’entêtant dans son idée, l’auteur croit frapper un