La cause du contre-ordre paraît claire pourtant. Napoléon n’était plus ce général des guerres d’Italie qui, tombé par hasard au milieu d’un détachement ennemi, presque sans escorte, sut non seulement lui échapper, mais même le décider à capituler. Seulement cette explication dérange les théories de l’auteur. D’où cette réserve : « à ce que disent les historiens », suivie d’une contradiction complète de ce qu’il vient à l’instant de raconter.
« De ce que Napoléon accepta l’avis de Mouton et que les troupes battirent en retraite, on n’est pas obligé de conclure que Napoléon en eût donné l’ordre. Cela prouve seulement que les forces qui agissaient sur toute l’année pour la déterminer à prendre la direction de la route de Mojalsk agirent aussi en même temps sur Napoléon. »
En d’autres termes : en ordonnant il n’a pas ordonné. Il a dû le rêver…
Tolstoï, bien entendu, cherche aussi à faire tourner au profit de sa théorie son exposé de la campagne du côté des Russes. Ici toutefois, et fort heureusement, il fait moins de raisonnements et plus de tableaux. Ce dont tous les lecteurs lui seront sincèrement reconnaissants, je n’en doute pas, même si ces tableaux font du tort à ses théories.
La marche de flanc de notre armée pour passer de la route de Riazan sur celle de Kalouga est, aux yeux de l’auteur, une manœuvre tellement simple que « le dernier gamin de treize ans aurait deviné sans peine qu’après l’abandon de Moscou, en 1812, la meilleure position pour l’armée était sur la route de Kalouga ». Néanmoins, il n’admet pas que cette idée si simple ait pu germer dans la tête d’un commandant en chef quelconque. À son avis, elle a dû s’élaborer « pas à pas, fait par fait, et découler de la multiplicité infinie des conditions les plus complexes ». Soit ! Mais, avant même que Tolstoï eût prononcé ses oracles, personne ne s’est jamais imaginé que le plan de la campagne de 1812 ait été élaboré dès le début de la guerre dans ses moindres détails, Seulement, de ce fait que le plan en question a été modifié suivant le cours des événements, il ne s’ensuit pas que le commandant en chef n’y ait pris aucune part. Au contraire, son rôle a été précisément de prendre en considération les circonstances au milieu desquelles il fallait agir, et de régler ses dispositions sur elles. Napoléon l’a dit tout net : « À la guerre ce sont les cir-