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même, parce qu’il consiste à prendre le phénomène le plus faible comme cause du plus fort ».

Voilà un argument que nous connaissons de longue date. « Ma dignité d’homme », ainsi s’exprime Tolstoï au tome IV, « me dit que chacun de nous tous, tant que nous sommes, est homme autant, sinon plus, qu’un Napoléon quelconque ». Au tome V, nous retrouvons le même vague dans les expressions ; c’est une maladie de famille. Que faut-il donc entendre par « force ou faiblesse » d’un phénomène ? Quelle est la mesure de cette force et de cette faiblesse ? Si c’est la masse — et nous sommes en droit de le supposer, puisque l’auteur n’en signale point d’autre — nous tombons immédiatement dans une impasse. La masse nerveuse de l’homme comparée à celle des os, des muscles et de la graisse, n’en est guère que le 1/8e ou le 1/10e. Quelle est pourtant la masse qui commande à l’autre ? Un train qui pèse plusieurs dizaines de tonnes n’est-il pas mû par quelques livres de vapeur d’eau, grâce à un mécanisme spécial ?

L’organisme d’un peuple est en tout semblable à celui de l’homme, par la raison bien simple que c’est l’homme lui-même qui l’a créé, et qu’il ne fait rien qu’à son image et à sa ressemblance. Dans l’organisme d’un peuple il y a donc aussi les deux masses, et les Napoléons — avec toutes les ramifications par lesquelles ils agissent sur la foule — représentent précisément, par rapport à cette dernière, ce que les centres nerveux et les nerfs sont par rapport à l’organisme humain. Par conséquent, l’esprit humain ne peut se refuser à accepter un mode d’explication offert par l’organisme même, en vertu duquel cet esprit exerce son empire.

Inutile d’ajouter qu’en traitant de phénomène le plus faible la masse relativement insignifiante des coryphées comparée à celle de tous les exécutants, Tolstoï se contredit lui-même ; car il en arrive ainsi à nier le principe du moral et à exalter l’importance du nombre dans les manifestations de la vie nationale, après avoir nié l’importance du nombre et exalté le principe du moral dans une des manifestations particulières de cette vie, c’est-à-dire dans la vie de l’organisme militaire.

On peut objecter que les fils qui font mouvoir les masses sont quelquefois en d’autres mains que celles de leurs chefs reconnus. Ceux-ci ne sont souvent que l’enseigne, comme Palafox, par