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immobile, un mur, par exemple. Et, en effet, plaçons Achille à deux pas du mur et faisons-lui faire d’abord un pas, puis un demi-pas, puis un quart, un huitième, etc… de pas. Il aura beau continuer ainsi indéfiniment, il n’atteindra jamais le mur.

Par conséquent, la discussion du problème amène une réponse qui n’est pas celle à la question. La question consiste à savoir si Achille atteindra la tortue ? Et la réponse faite est la suivante : le temps et l’espace sont divisibles indéfiniment. L’auteur avait bien besoin de tourmenter pour cela les différentielles et les intégrales ! Il n’a pas résolu la « colle ». S’imagine-t-il avec ses différentielles et ses intégrales avoir rendu plus suggestives ses considérations ultérieures sur l’histoire ?

Elles se ramènent à ceci : « Ce n’est qu’en admettant une unité infiniment petite comme élément d’observation — la différentielle de l’histoire, — c’est-à-dire les penchants communs des hommes, et en parvenant à l’art d’intégrer ces infiniment petits, que l’on peut espérer atteindre les lois de l’histoire ».

Ainsi, par exemple, pour comprendre 1812, il faudra d’abord étudier la biographie et les penchants pour le moins de tous ceux qui y ont pris part, à commencer, disons par Lavrouchka dans un camp, et à terminer par Napoléon dans l’autre. C’est alors seulement qu’on pourra avoir la prétention de tirer des déductions justes de cette campagne ; n’est-ce pas cela ? Si telle est la conviction de l’auteur, il aurait dû s’abstenir tout le premier de tout jugement sur 1812, car il n’a certainement pas étudié toutes les biographies et tous les penchants en question.

Pour sortir de l’embarras où il s’est fourvoyé lui-même, en refusant toute signification à l’histoire dans son état actuel, l’auteur impose à celle-ci un idéal qu’il ne lui sera jamais possible d’atteindre, et, partant de cet idéal, renverse avec une force irrésistible, croit-il, toutes les déductions acquises par l’histoire.

Rapportées à son idéal, toutes les conclusions de l’histoire contemporaine lui paraissent incomplètes — ce qui est parfaitement vrai — et par conséquent fausses — ce qui n’est plus du tout vrai, car c’est un saut de logique. L’histoire est précisément la science où les conclusions incomplètes, c’est-à-dire basées sur des données insuffisantes, peuvent le moins se maintenir ; elles sont toujours rectifiées, en effet, par le fait accompli même résultant des données que les historiens ont employées comme maté-