Page:Dragomirov - Guerre et paix de Tolstoï au point de vue militaire.djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 68 —

des généraux une mission, accompliront cette mission par eux-mêmes, en se réglant sur les éventualités perpétuellement changeantes du combat, sans attendre d’ordres ultérieurs des Ney, des Davout, des Murat, prouve que ces derniers ne remplissent dans le combat qu’un rôle nul ou presque nul.

Il en résulte qu’au point de vue de l’auteur, on ne saurait admettre que Napoléon et ses aides les plus immédiats aient dirigé le combat qu’à la condition que chacun d’eux eût conduit lui-même les bataillons et les escadrons à l’attaque et présidé en personne aux changements d’emplacement des batteries. Mais si les grands chefs pouvaient faire tout cela, à quoi bon alors avoir des divisionnaires, des brigadiers, des colonels, etc… ? Est-ce que le fait même qu’on a reconnu la nécessité de ces derniers ne prouve pas l’insanité de cette conception. Réciproquement, si les sous-ordres faisaient tout par eux-mêmes, on pourrait se passer des grands chefs ; nouvelle absurdité ! Car, qui ferait converger alors vers un même but les efforts séparés de très nombreuses unités ? On le voit bien, tous les raisonnements de Tolstoï ont leur racine dans l’erreur qu’il commet sur le sens du mot « direction » aux différents échelons de la hiérarchie militaire et pendant les différentes périodes du combat.

En se plaçant au point de vue de Tolstoï, on peut dire aussi qu’un chef d’orchestre n’a qu’un rôle nul, parce qu’il ne joue d’aucun instrument et n’ajoute à l’harmonie générale rien de saisissable ; il ne peut pas empêcher non plus un de ses musiciens de faire une fausse note, ni avaler ses couacs, ni même réparer en quoi que ce soit les bévues une fois qu’elles sont commises. Le chef d’orchestre ! Monsieur ! Mais c’est un homme qui ne fait rien, qui ne sert à rien ! Ce sont les musiciens en jouant leur partie du mieux qu’ils peuvent, ou plutôt leurs instruments en résonnant chacun à leur manière, qui font toute la besogne. — Ah ! Eh bien ! trouvez donc un orchestre qui consente à jouer sans ce parasite qui se trémousse au milieu sans rien faire (d’après la théorie de l’auteur) ! Vous n’avez donc jamais remarqué que quand le chef d’orchestre est mou, l’exécution aussi est languissante ? Qu’au contraire, lorsqu’il est énergique, les musiciens semblent puiser d’on ne sait où des forces nouvelles ? Écoutez les gens compétents, et ils vous expliqueront