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à Chévardino, et qu’en renforçant Napoléon nous eût mit dans une situation beaucoup plus critique qu’en opérant contre notre flanc gauche. Sans compter que la Kolotcha en cet endroit-là, si l’on en juge d’après le plan annexé à l’ouvrage du général Bogdanovitch, présente plusieurs points de passage faciles, et que sa rive gauche (celle que les Français occupaient) commande dans bien des places la rive droite[1]. Par conséquent, l’obstacle tactique présenté par la Kolotcha pouvait être compté comme trop faible pour obliger Napoléon à renoncer à une combinaison qui nous eût mis dans une situation stratégiquement très fâcheuse, en menaçant de nous couper de notre ligne de retraite, si son attaque réussissait. Ajoutez à cela que le côté stratégique des combinaisons de combat commençait à être à la mode grâce à Jomini, qu’on s’attendait de la part de Napoléon aux entreprises et aux coups les plus invraisemblables, et alors il sera bien facile de comprendre que l’attention principale devait se porter sur le flanc droit de la position du moment où le flanc gauche devait être à Chévardino. C’est ce qui se traduisit par une accumulation considérable de troupes sur le flanc droit et, par la force de l’ouvrage qui y fut construit, supérieure, à en juger par le plan, à celle des autres travaux qu’on se proposait d’établir sur la position. En supposant le flanc gauche de la position à Chévardino, il est visible que l’ouvrage en question n’a plus du tout sa gorge tournée vers l’ennemi et constitue seulement un crochet défensif à l’extrémité du flanc droit. La preuve que, suivant toute probabilité, Napoléon lui-même n’avait pas primitivement l’intention de marcher contre notre flanc gauche, c’est que le gros de ses forces ne déboîta de la nouvelle route de Smolensk et ne commença à passer la Kolotcha que quand nos tirailleurs en position auprès d’Alexino, sur la rive droite de la Kolotcha, ouvrirent le feu sur le flanc des colonnes françaises qui s’avançaient de Valouïevo sur Borodino. Les rapports de plusieurs de ceux qui ont joué un rôle à Borodino indiquent en toutes lettres Chévardino comme flanc gauche de la position, et leur témoignage vient ainsi à l’appui de l’opinion de Tolstoï. Du reste, si l’on adopte le

  1. Encore à en juger par le plan, car dans le texte il est dit que la rive droite domine la rive gauche dans toute son étendue.