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Mais, patatras ! aussitôt après la phrase en question, on tombe sur une autre qui est absolument inconcevable, « Il (Koutouzoff) comprend qu’il y a quelque chose de plus important et de plus fort que sa volonté : c’est la marche inévitable des événements. Il sait les voir, il sait comprendre leur rôle, et, en raison de ce rôle, il sait renoncer à participer à ces événements, à avoir une volonté personnelle qui ait une direction différente ( ?) ».

De quelle façon, un homme qui est libre de choisir l’une quelconque des propositions qu’on lui fait, peut-il en même temps renoncer à participer à des événements qui peuvent prendre une tournure différente, précisément en conséquence du choix que cet homme aura fait ? Voilà ce que nous ne pouvons pas comprendre, et nous défions bien qui que ce soit de chercher à le comprendre.

La bataille de Borodino a fourni à l’auteur une occasion toute spéciale de manifester à la fois le côté brillant de son talent d’artiste et l’unilatéralité de ses conceptions théoriques. Les scènes qui se passent à Borodino et dans la batterie Rayefsky sont rendues magistralement. Même l’opinion de Tolstoï, que le premier plan était de prendre position le long de la Kolotcha jusqu’à Chévardino même, mérite une très sérieuse attention. Là où il s’agit d’avoir de la justesse de coup d’œil (et non pas de raisonnement), l’auteur se trompe rarement. Nous sommes positivement tout disposé à admettre comme lui que la première conception du haut commandement de notre armée était d’accepter le combat dans une position couverte par la Kolotcha dans toute son étendue. Il est à noter, en effet, qu’en adoptant cette manière de voir, ce qu’il y avait d’inexplicable jusqu’à présent dans notre dispositif prend un sens logique.

De fait, l’ouvrage du flanc droit sur lequel on a tant plaisanté sous prétexte que la gorge en était tournée vers l’ennemi, la trop forte occupation de la position au nord de la nouvelle route de Smolensk, la négligence commise par rapport à l’ancienne route de Smolensk, tout cela découle comme une conséquence parfaitement logique de l’adoption d’un dispositif le long de la Kolotcha, c’est-à-dire à angle aigu par rapport à la nouvelle route de Smolensk. On pouvait craindre, en effet, avec un pareil dispositif, que Napoléon n’attaquât notre aile droite parce que le flanc droit eût été beaucoup plus près de la ligne de retraite que le gauche