Page:Dragomirov - Guerre et paix de Tolstoï au point de vue militaire.djvu/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ou en équerre, où l’automatisme était considéré comme la première qualité du soldat pour la guerre ? À quoi donc attribuer d’aussi énormes absurdités, si ce n’est à l’ignorance complète de ce qui se passe dans le cœur de l’homme sous l’impression du danger au moment où il est appelé à agir en masse sur le champ de bataille ?

Dira-t-on, et c’est une objection que feront peut-être bien des gens qui ne sont pas militaires, que le côté psychologique de la guerre n’a pas attiré l’attention des chercheurs, parce que la guerre elle-même ne mérite pas d’être sérieusement étudiée, parce qu’elle n’est qu’un reste de la barbarie appelé à disparaître, auquel succédera une ère de paix perpétuelle, où toutes les disputes se régleront à l’amiable ? Voilà bien encore une suggestion dictée par l’instinct animal de conservation et qu’il nous est impossible d’admettre. Car, tout dans la nature est basé sur la lutte, et l’homme ne peut se placer au-dessus des lois de la nature quelles qu’elles soient. « La paix perpétuelle n’est possible qu’au cimetière », a dit Leibnitz. Il ne faut qu’une minute de réflexion sérieuse et impartiale pour reconnaître toute la vérité de cette pensée, et il n’est guère concevable qu’elle puisse jamais devenir un anachronisme.

Du reste, quand bien même la guerre devrait cesser un jour de jouer un rôle fatal et inéluctable dans le développement de l’humanité, ce ne serait pas encore une raison pour qu’elle ne méritât pas d’être examinée sous toutes ses faces par ceux qui ont le don de lire dans les profondeurs les plus intimes de l’homme, et de mettre ensuite le résultat de leurs observations à la portée de tous, que ce soit à l’aide d’une reproduction artistique ou d’une étude philosophique, peu importe. Car, la guerre, et rien que la guerre, évoque cette tension terrible et simultanée de tous les ressorts moraux de l’homme, en particulier de la volonté qui révèle toute l’étendue du pouvoir de l’homme, à un point qui n’est atteint dans aucun autre genre d’activité.

C’est en pure perte que les psychologues ont négligé jusqu’à présent les phénomènes qui se développent dans l’âme humaine sous les balles et les obus, et en face de dilemmes comme ceux que Napoléon a eu à résoudre à Marengo ou à Waterloo. Ils se sont privés par là des faits les plus précieux pour parvenir à la connaissance de l’activité morale de l’organisme humain. « Mais pour-