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eu déjà tels et tels sujets de conflit. Tout cela est inepte. Une cause, qui vaut bien le désir d’avoir Tare et le non-désir de le donner, nous semble être le désir ou le non-désir d’un atome quelconque de la main de Pierre de prendre part à la rixe. Car si cet atome ne veut pas y prendre part, si un second, un troisième, des milliers d’atomes semblables font de même, il ne peut pas y avoir de rixe… » Dans un organisme vivant et sain — qu’il soit grand ou petit, peu importe — aucun atome séparé ne peut pas ne pas vouloir ce que veut la force suprême de cet organisme, qui fait qu’il est un organisme, et sans laquelle il ne serait plus qu’un agrégat sans vie de particules indifférentes les unes aux autres. L’auteur reconnaît lui-même que la volonté de Napoléon n’était pas tant l’expression de sa volonté propre que celle de la volonté de cet organisme dont il était le représentant, et en cela nous sommes tout à fait d’accord avec lui[1]. Comment peut-il donc admettre après cela que de simples particules, prises séparément, pourraient vouloir toute autre chose que ce que veut l’ensemble ?

Quand on lit ce passage de « Guerre et Paix », on s’attend à ce que Tolstoï, après avoir récusé les causes qu’il considère comme non justifiées, présente à leur place les causes des événements qui lui paraissent vraies. Épatement du lecteur quand il découvre que l’auteur voulait tout simplement en arriver à dire qu’« il n’y a pas eu de cause proprement dite de l’événement ; l’événement devait s’accomplir, seulement parce qu’il devait s’accomplir… »

D’abord nous ne connaissons pas d’historien qui se soit arrêté à une cause proprement dite, exclusive, quelconque. Tous ont admis un ensemble de causes. Donc ici l’honorable auteur se dispute avec un historien fictif. En second lieu, de ce qu’un événement donné n’a pas eu une cause particulière quelconque, il ne s’ensuit pas qu’il n’ait pas eu du tout de causes, ou, comme dit

  1. Le mécanicien aussi se soumet à la force de la vapeur et précisément parce qu’il peut donner à sa machine une marche à son gré rapide, tente, ou à reculons. Une des preuves les plus éclatantes qu’on puisse fournir qu’il en est de même avec les nations, à certaines époques de leur existence, c’est l’exemple de la France contemporaine : marche à toute vapeur, piétinement sur place, recul ; sans compter ce qu’on lâche de vapeur… sous forme d’expéditions lointaines. — Ceci a été écrit sous Napoléon III (N. du T.)