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Plus loin, l’auteur de « Guerre et Paix », en examinant les causes de la guerre de 1812, présentées par les historiens, trouve qu’elles sont bien insuffisantes et par conséquent erronées. C’est encore un saut de logique : car de ce que tout n’a pas été dit, il ne s’ensuit pas que ce qui a été dit est faux. Aux causes et motifs reconnus, — mélangeant l’un et l’autre malheureusement, — l’auteur oppose les siens, qui n’ont pas le moindre fondement, quoique ses motifs à lui lui paraissent aussi plausibles que ceux des historiens.

« Une cause, qui vaut bien le refus de Napoléon de ramener ses troupes derrière la Vistule et de rendre le duché d’Oldenbourg, nous parait être le désir ou le refus du premier caporal français venu de se rengager. Car, si ce caporal n’avait pas voulu faire un second temps de service, et si un deuxième, un troisième, mille de ses camarades et des milliers de soldats avaient fait de même, cela eût diminué d’autant les troupes de Napoléon et rendu la guerre impossible. »

Cette cause, pour l’exposé de laquelle l’auteur a dû faire une énorme consommation de la particule « si » a un défaut radical : c’est que les causes et les motifs présentés par les historiens sont positifs, tandis que celle-ci, suivant l’auteur lui-même, était seulement possible ; mais en réalité elle n’a pas eu lieu. Il n’y a pas de déductions ni de suppositions qui puissent effacer un fait du moment qu’il existe ou qu’il a existé. Malgré tout le talent de l’auteur à nous démontrer ce qui aurait pu être, du moment où ce qu’il désire n’a jamais eu lieu en réalité, c’est que cela ne peut pas avoir été. Qu’il nous montre dans l’histoire, ne fût-ce qu’un exemple unique, où une guerre n’a pas eu lieu parce que les soldats n’ont pas voulu rester au service, et nous nous réconcilions avec son hypothèse. Mais il ne trouvera pas, il ne peut pas trouver un exemple pareil, car un cas semblable serait en contradiction directe avec les conditions essentielles de la vie organique des masses. Pour nous en convaincre, reprenons un organisme analogue à une nation dans toutes ses fonctions, mais plus simple : celui de l’homme individuel. Qu’aurait dit l’auteur de « Guerre et Paix » si quelqu’un, en examinant les causes d’une rixe entre deux hommes, avait tenu, par exemple, le discours suivant : « On prétend que la cause de la querelle, c’est l’arc de Jean que Pierre voulait avoir, et qu’auparavant ils ont