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position, ni de l’armement, ni même du nombre, mais surtout pas de la position. »

Et de quoi dépend-il donc ?

« De ce sentiment qui est en moi, qui est en lui, — montrant Timokhine, — qui est dans chaque soldat. » Et qui trouve un appui dans la position, dans l’armement, dans le nombre, dans les dispositions, ajouterons-nous.

Ce que dit le prince André du rôle de l’esprit des troupes dans le succès ou l’insuccès du combat est absolument juste.

Mais il a l’air de ne pas comprendre que l’état moral est une résultante suprême, dont les composantes sont précisément tous ces détails qui n’ont, suivant lui, rien de commun avec elle. Tous ces détails, toutes ces minuties (d’après le prince André) ont certes avec l’état moral un rapport de cause à effet. C’est ce que comprennent parfaitement ceux qui ne jugent pas superficiellement la question, qui ne se bornent pas à leur première impression. Il suffit de se rappeler la remarque de Trochu relativement à l’extrême sensibilité de l’état moral. Il ne lui viendra jamais à l’idée d’établir une opposition non seulement entre l’état moral et des données comme l’armement, le nombre, la position, mais même comme l’excès de froid ou de chaud. Chacune de ces forces, envisagée séparément, peut quelquefois n’avoir aucune influence propre ; mais le malheur est qu’elles n’opèrent jamais séparées et agissent toujours ensemble et au même instant. Le soldat le moins développé, quand on en arrive au combat, écoute d’une oreille avide tous les racontars qui circulent dans l’armée. C’est ce que Tolstoï a mis très justement en relief dans ses prémisses de la bataille d’Austerlitz. Le soldat devient extrêmement impressionnable à tous ces bruits ; par quel miracle parviendra-t-il alors à sauver sa confiance en lui-même et sa hardiesse, s’il entend dire, par exemple, que son arme est inférieure à celle de l’ennemi ou quelque chose d’analogue ? Nous convenons qu’à Borodino la plus forte de toutes les composantes était cette indignation patriotique qui faisait voir aux nôtres dans chaque Français un ennemi personnel ; mais de ce que ce sentiment était la force dominante, il ne s’ensuit nullement que l’importance des autres fût réduite à zéro. Incapable d’un examen sérieux des faits, enclin à faire à tout propos des conclusions basées sur la première impression irréfléchie, le prince André ne remarque ici