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Certainement il n’y a que dans le rang que l’on puisse servir avec l’assurance d’être utile.

Toute cette tirade, il est facile de le voir, n’a guère de rapport avec le conseil de guerre de Drissa ; elle est tout bonnement le produit de la tournure d’esprit maladive et bilieuse qui s’est emparée du prince André, après sa tentative manquée de jouer les Napoléon, et qui ne l’a pas quitté depuis. En réalité, si le désordre et la confusion de ce conseil avaient pu conduire un homme impartial à une conclusion quelconque, c’eût été celle que le prince Eugène de Savoie avait déjà exprimée de son temps à ce sujet : « Un général ayant envie de ne rien entreprendre n’a qu’à tenir conseil de guerre. » C’est pourquoi les hommes de guerre, qui comprennent leur affaire, convoquent des conseils de guerre, non pas pour leur demander une résolution, mais au contraire pour inculquer à leurs subordonnés la résolution qui les anime. Tel fut le conseil de guerre tenu par Koutousoff à Vily, celui de Napoléon après l’échec d’Aspern, celui de Frédéric II avant Leuthen. Tout le monde sait que, dans un conseil, il y a autant d’esprits différents qu’il y a de têtes. Il n’y a donc pas à attendre d’une assemblée pareille la moindre unité d’idée ni de but. Cette unité ne peut être l’apanage que d’une tête unique. Nais une fois l’idée unique donnée, le conseil, pour sa part, peut élaborer les détails de sa réalisation et répandre cette idée maîtresse dans tout l’organisme militaire. Le rôle attribué au conseil de guerre de Drissa était un rôle qui ne peut jamais convenir à un conseil. Il eût été composé, non plus d’Armfeldts, de Phulls, etc… mais de Napoléons, qu’on n’en aurait jamais pu rien tirer que des discussions vides et stériles et des contestations sans profit.

L’art de la guerre n’est pour rien dans cette affaire. Le prince André se figure que le pataugis de ce conseil est une nouvelle preuve qu’il lie peut y avoir ni science, ni théorie de la guerre, ni enfin de génie de la guerre[1]. Mais n’est-il pas évident qu’il ne s’agit pour lui ni du conseil de guerre, ni même d’une phase de guerre quelconque, si ce n’est de se répéter une fois de plus qu’il

  1. Nous pensons tout au contraire que le gâchis du conseil de guerre de Drissa est une des meilleures preuves que l’on puisse trouver de l’importance de la théorie de la guerre, car elle enseigne précisément ce qu’il est permis ou non d’attendre d’un conseil de guerre.