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quent, peu dangereux, mais qui annoncent ce qui va se passer, les impressions des hommes se manifestent d’abord par un silence de mort. C’est, pour ceux qui les commandent, précisément le moment d’agir sur le soldat par une attitude calme, un mot dit à propos et venant du cœur. Dans les moments semblables, l’empereur Napoléon passait devant le front des troupes prêtes à engager le combat et leur adressait des paroles qui avaient le pouvoir d’électriser le soldat. »

Tout cela est juste et parfaitement exprimé. Mais pour comprendre l’importance pratique et le sens profond des conseils de Trochu, il faut ou bien avoir passé par le baptême du feu, ou bien s’enfoncer dans la lecture des quelques vestiges laissés dans la littérature par chaque ouragan de guerres, sous forme de Mémoires des témoins oculaires, d’instructions des principaux acteurs, etc., et encore savoir en tirer des déductions judicieuses, ce qui n’est pas donné à tout le monde… Au contraire, le récit de Tolstoï traduit le même conseil en une image vivante et, par là même, le grave en caractères ineffaçables dans le cœur de l’homme le moins du monde habitué à penser à ce qu’il lit. Ce n’est pas tout : le récit indique, en effet, non seulement ce qu’il faut faire, mais encore comment cela se fait, étant données les facultés mentales et morales de l’exécutant. En ce qui concerne la question qui nous occupe, c’est-à-dire la direction des troupes pendant le combat, nous ne connaissons rien au-dessus des pages qui peignent Bagration pendant les premiers instants de l’affaire de Hollabrünn (ou Schöngraben).

La scène est d’une simplicité extrême et, par là même, frappante : les premiers coups partent ; Bagration « sur le visage bruni duquel, avec ses yeux à demi clos et ternes, comme s’ils étaient mal réveillés, » il est absolument impossible de lire « s’il pense, s’il ressent quelque chose et ce que cet homme pense et ressent dans cette minute », — Bagration s’approche d’un des points les plus importants de la position, la batterie du capitaine Touchine. Tous les rapports qu’on lui fait, tout ce qu’il voit, il le prend avec un air qui a l’air de dire : « C’est bien ce que j’avais prévu. » S’il parie, c’est en prononçant les mots avec une lenteur particulière, comme pour bien établir qu’il n’y a pas à se presser. Un boulet siffle à ses oreilles, après avoir tué sur place un cosaque de son escorte ; ses voisins se jettent de côté. « Le