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ginés » vivent sous vos yeux et agissent de façon que leur activité devient une leçon féconde pour tous ceux qui, voulant se consacrer aux choses de la guerre, n’oublient jamais, en temps de paix, le but auquel ils se préparent. Ceux-là en retireront des indications pratiques de la plus haute valeur que nous n’hésitons pas à mettre à la hauteur de celles que nous ont laissées le maréchal de Saxe, Souvoroff, Bugeaud et enfin Trochu. Ajoutez à cela que, dans les tableaux de Tolstoï, ces indications se présentent, non sous la forme d’idées générales et abstraites, mais comme l’application de ces idées par des personnages vivants, dont vous pouvez suivre les gestes, les regards, les paroles. Et alors, le service immense que la méditation des scènes militaires de Tolstoï peut rendre à tout militaire qui a pris son affaire au sérieux, devient clair comme le jour. C’est ce que nous allons essayer de démontrer.

Pour un chef, l’épreuve la plus difficile et la plus terrible a toujours été et sera toujours la direction des troupes pendant le combat ; non pas direction comprise dans le sens d’indiquer à chacun son rôle précis, — car c’est impossible et dénué de sens, en raison de l’incessante mutabilité de la situation pendant le combat ; — mais direction exercée de façon que l’âme de chacun réussisse à mener à bonne fin ce que les circonstances exigent de lui.

Pour comprendre toute la difficulté de ce redoutable problème, il est bon de lire la peinture que fait Trochu de l’état moral des troupes avant le commencement du combat :

« L’élan, la bravoure, les facultés de l’esprit, enfin, ont leurs bons et leurs mauvais jours. Le souci des siens, de ses affaires, l’état moral, la santé, une température trop froide ou trop chaude, la fatigue, la faim, la soif influent, sans qu’on puisse s’y soustraire, sur la disposition avec laquelle chacun marche au combat. On sait qu’à l’époque des guerres du premier Empire, la bravoure de certains généraux, la confiance du soldat en lui-même augmentaient, ou diminuaient, selon que l’Empereur était près ou loin d’eux. »

« … Cette agitation intime, soigneusement contenue, reste latente pendant la période des mouvements qui précèdent le combat ; quand la troupe pénètre dans la sphère où commencent à siffler les premiers projectiles tirés de trop loin et, par consé-