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Tout le raisonnement qui précède n’a qu’un but : c’est de faire ressortir avec une clarté suffisante cette pensée que, sans de faux préjugés sur « l’honneur du régiment », l’organisme militaire éliminerait facilement et librement une certaine proportion de personnalités méprisables qui, après avoir été impliquées dans quelque affaire honteuse, continuent néanmoins d’appartenir à l’armée en lui causant un tort incalculable (qui tombe quelquefois même en particulier sur leur ancien régiment). Telle est pour moi la déduction logique et naturelle à tirer du récit absolument impartial de Tolstoï. L’auteur décrit sans le moindre procès de tendance le fait le plus simple, le plus ordinaire ; il n’y a pas le moindre effort de sa part pour insinuer au lecteur une conclusion plutôt qu’une autre. Et pourtant il est impossible de lire le récit avec un peu d’attention sans que son sens intime ne ressorte de lui-même. C’est là le meilleur témoignage que l’on puisse invoquer de sa valeur artistique.

Nous laissons là l’exposé des conséquences morales que l’indulgence observée vis-à-vis de Télianine pour sauvegarder « l’honneur du régiment » continue à avoir pour Dénisoff, parce que tous les lecteurs de « Guerre et Paix » se rappellent certainement son entrevue avec Rostoff à l’hôpital. Dénisoff en arrive à ne plus même penser à lui demander des nouvelles du régiment et de la marche générale des affaires. Il semblerait presque que ce sont pour lui maintenant des idées pénibles. Toute son attention est absorbée par les questions que lui adresse la commission et les réponses qu’il leur fait. Nous terminerons l’examen de tout cet épisode par une seule observation. Partant de ce fait que dans un combat les exploits d’une troupe dépendent en somme de deux ou trois hommes comme Dénisoff, nous demandons ce que l’honneur du régiment aurait perdu si une affaire sérieuse avait eu lieu pendant son absence, et, en fin de compte quelle eût été la cause première de cette absence, si ce n’est les égards immérités vis-à-vis de Télianine, qui n’avaient profité qu’à ce drôle.

Je craindrais d’ennuyer le lecteur en insistant aussi longuement sur les autres scènes de la vie intérieure des troupes. Tous les personnages en sont typiques. Dolokhoff, Timokhine, sont appelés certainement à devenir des noms génériques, comme ceux de Nosdreff, Sobakiévitch, Maniloff et autres héros de Gogol. Je ne puis cependant passer aux scènes de guerre sans