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de sa sincérité même, et qui lui reproche avec amertume d’empêcher qu’on aplanisse l’affaire ! Voilà un honnête serviteur, qui n’a pas un brin de pose, pour qui la vie ne vaut pas un centime. Mais il croit à cet aphorisme : « La faute n’existe pas du moment qu’on n’en parle point. » Voilà où en sont Kirsten et ses camarades, très probablement sans s’en être jamais doutés.

Il règne dans tout cela une erreur de jugement absolument inconsciente, mais par là même d’autant plus déplorable, et il est pénible de songer aux conséquences qui peuvent en être le résultat, plus souvent qu’on ne le pense. Continuons à suivre le développement des faits dans le récit de Tolstoï : à côté d’une logique échafaudée sur des préjugés, ce récit nous fait voir une autre logique, inexorable celle-là, la logique de la nature des choses, en vertu de laquelle toute action absurde engendre inévitablement des conséquences absurdes, qui sont le châtiment de l’absurdité originelle.

On blâme Rostoff comme si son emportement de jeune homme était le principal tort et non la vilaine action qui l’avait provoqué. Il n’aurait pas fallu qu’il s’y entêtât beaucoup, pour que l’affaire prît une très mauvaise tournure à ses dépens. Avec plus d’obstination à soutenir son point de vue, il se serait fait presque à coup sûr éliminer du régiment, tôt ou tard, et avec un certain éclat. Car à quoi bon mettre des gants avec un homme si peu sensible à l’honneur du régiment ?

Heureusement il cède : « J’ai tort, tout à fait tort ! Êtes-vous contents ? »

« À la bonne heure, s’écrie Kirsten en lui tapant sur l’épaule avec sa large main. »

« Tu vois bien, reprend Dénisoff, c’est un brave garçon. »

Ainsi Rostoff avait failli perdre sa réputation de « brave garçon », même aux yeux de Dénisoff, qui le connaissait pourtant bien et se sentait tout porté pour lui… Et tout cela parce qu’il avait traité de voleur un monsieur qui avait pris la bourse d’un autre sous son oreiller !

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Télianine est rayé des contrôles du corps pour raison de santé ; il entre un peu plus tard dans les services administratifs. En 1807 nous le retrouvons au commissariat du quartier général. Le régiment de hussards, que la maladie a forcé M. Télianine de quitter, fait partie des