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et qu’on l’a oublié. Oui, peut-être au point de vue purement égoïste du régiment, tout est terminé par là et l’honneur de l’uniforme reste sauf. Mais c’est au point de vue plus élevé de l’intérêt général de la grande famille militaire, qu’il convient de se placer pour découvrir les conséquences pernicieuses de cette mutation furtive. Et ceux-là même qui l’ont favorisée frémiraient quelquefois en voyant les maux qui résultent de leur puéril préjugé sur le rapport qu’ils inventent, entre la bonne réputation du régiment et les vilenies d’une des individualités qui y comptent à un moment donné.

La scène n’est plus la même. Nous sommes dans un régiment de cavalerie. On y respire plus librement ; les gens y sont moins traqués moralement. Ce n’est pas que leur spécialité, au point de vue du combat, les préoccupe très particulièrement ; mais cependant ils sont moins embourbés dans les minuties, dans les riens sans rapport aucun avec la guerre. L’auteur nous introduit dans un petit cercle : Dénisoff — dans la suite le futur partisan Davydoff ; Rostoff, aspirant sous-officier dans son escadron, et M. Télianine, officier au même escadron, venu par mutation d’un régiment de la Garde, avant la campagne, pour une raison sous-entendue. Il se tient très bien, mais les cœurs ne sont pas portés vers lui. Dénisoff et Rostoff s’absentent pour un instant de la cabane de paysan où ils sont cantonnés, en y laissant seul M. Télianine. Un instant après, M. Télianine sort à son tour. Un peu plus tard, Dénisoff rentre pour prendre sa bourse et ne la trouve plus. Chacun connaît la scène du roman : inutile de la reproduire. Le fait est que Rostoff pince Télianine dans une auberge avec la bourse de Dénisoff. Furieux, en jeune homme — et en garçon plein de droiture, — il le dénonce sur-le-champ au chef de régiment, en présence des autres officiers. Celui-ci lui donne un démenti, atteste que Rostoff ne sait pas ce qu’il dit. Les officiers se groupent autour de Rostoff pour le décider à faire des excuses à Bogdanytch ; c’est le surnom du colonel. Rostoff s’entête. Son jugement n’est pas obscurci par de faux préjugés et il est convaincu d’avoir raison. Surtout il ne peut pas comprendre qu’un homme, qui sait pertinemment qu’il lui dit la vérité, puisse traiter cette vérité de mensonge.

Alors intervient Kirsten, un vétéran du régiment, qui a été deux fois dégradé à la suite d’affaires d’honneur et deux fois re-