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but même de la lutte ? L’esprit. L’esprit et les passions sont donc deux forces qui agissent ensemble et en même temps. Mais il y a encore bien des luttes que l’action simultanée de ces deux forces ne suffirait pas à expliquer, et cela nous conduit à la découverte d’une troisième catégorie de forces, tout à fait indépendantes de l’homme cette fois, mais qui ont une puissante influence sur la classe de phénomènes que Tolstoï appelle les mouvements des nations. Ce sont les forces de la nature : l’influence sur les masses du climat, de la situation géographique, du travail intime des causes ethnographiques et économiques, qui imprime une direction spéciale aux instincts, au tempérament, aux mœurs, aux inclinations et aux aptitudes des races et des peuples. C’est dans ce jeu compliqué de forces qui accompagnent tout fait nouveau qu’il faut chercher la clef de l’énigme, de l’impossibilité pour une idée quelconque d’arriver à sa complète réalisation, vérité si justement exprimée par le dicton français : rien n’est plus faux qu’un fait.

On conçoit aussi par là qu’exiger une explication du lien qui existe entre les idées et les masses, comme le fait Tolstoï, c’est la même chose qu’exiger l’explication du lien entre la pensée qui vient dans la tête d’un homme et cet homme lui-même, entre l’action à laquelle il se décide pour réaliser cette pensée et la pensée elle-même, etc.

Suivant son habitude, l’auteur, après le raisonnement, a recours à la comparaison. Un bateau à vapeur est en marche ; un paysan ignare attribue son mouvement au diable, un autre au mouvement des roues, un troisième à la fumée qui sort de la cheminée. L’explication des phénomènes de la vie nationale par l’influence des idées ressemble, dit Tolstoï, à l’explication du mouvement du bateau à vapeur par la fumée. Nous laissons au lecteur le soin de décider si la comparaison mérite d’être prise au sérieux, et si elle n’est pas plutôt un truc enfantin pour tromper l’attention.

Quant aux raisonnements qui viennent ensuite, il a été au-dessus de nos forces d’y suivre le fil de la pensée de l’auteur, de deviner ce qu’il veut dire et même s’il veut dire quelque chose. Les lecteurs auront peut-être plus de chance et découvriront dans les dissertations de Tolstoï le sens profond qui s’y cache. Nous ne l’avons point découvert. Une répétition perpétuelle du même