Page:Dragomirov - Guerre et paix de Tolstoï au point de vue militaire.djvu/103

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 99 —

Si, quoique illogique au point de vue de la raison, la lutte est inévitable dans les phénomènes de la vie des peuples, cela ne prouve nullement que les idées aient peu d’importance pour eux, mais qu’il existe encore d’autres forces qui concourent avec elles, parallèlement et simultanément, à la production de ces phénomènes.

Dans le cas présent, l’auteur aurait dû appliquer la méthode employée en physique pour la recherche des lois de l’équilibre. Il fût alors resté dans le vrai et serait arrivé à des conclusions toutes différentes. L’observation vous indique qu’un point suit une certaine direction, et vous voyez que la force qui lui est appliquée, et dont vous vous apercevez n’a pas la même direction que celle du mouvement. Qu’en concluez-vous ? Que cette force n’a pas d’influence sur le mouvement du point ? Assurément non, mais qu’il est probable qu’une autre force, ou d’autres forces, agissent simultanément et déterminent avec elle le mouvement observé.

Essayons d’appliquer cette méthode à la question que nous examinons, et voyons ce qui en sortira.

L’observation des actions de l’homme fait voir que chacune d’elles est nécessairement précédée d’une pensée qui se traduit extérieurement par l’acte lui-même. Les choses se passent de même pour une nation que pour un individu. Chaque événement de son existence est nécessairement précédé d’un travail intellectuel chez les personnalités qui la représentent et donnent une forme matérielle aux idées qui flottent au sein de cette nation, à l’époque envisagée, et constituent ce je-ne-sais-quoi d’insaisissable, que l’on est convenu d’appeler l’esprit du temps.

Les faits les plus éclatants, l’établissement du christianisme, par exemple, prouvent que pour une idée l’homme est capable parfois des sacrifices soi-disant les plus contraires à sa nature, et cela, sans l’ombre d’une hésitation, en y trouvant même une jouissance.

S’ensuit-il que ce soient les idées qui dirigent les individus et les masses ? Si cela était vrai, les actes des uns et des autres seraient conformes aux lois de la pure logique, et il n’y aurait place ni pour les conflits sanglants ni pour les luttes de toute nature qui se produisent dans la pratique, car tous les malentendus seraient résolus par la seule controverse. La science, dont le