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biante. Mais cette réaction s’exerce sur l’un d’une façon, sur l’autre d’une autre ; cela dépend des talents de l’individu, de ses dons innés, aussi bien que de ses qualités acquises en raison des circonstances au milieu desquelles s’est opéré son développement. Si nous expliquons d’une manière différente les uns et les autres sur quoi se fonde la puissance d’une personnalité donnée, cela n’implique contradiction qu’en apparence ; car nos explications ne s’excluent pas, mais se complètent réciproquement.

« La tournure de mon esprit et mes prétentions à posséder des talents militaires, aurait pu ajouter Thiers à cette profession de foi, m’obligent à me prosterner devant le génie de Napoléon, et, en bon Français, j’ai cru devoir me taire sur les côtés sombres de mon idole. L’époque à laquelle je vis et qui a mis en évidence tous les côtés fâcheux du bonapartisme, aurait dit Lanfrey, et aussi le besoin de réagir contre les panégyristes à tous crins, ont fait de moi un détracteur ; mais je conviens que dans un caractère aussi compliqué il devait y avoir du bon comme du mauvais, et qu’il est impossible d’être porté par le flot du caprice d’un peuple à la hauteur d’un Napoléon, si l’on ne sait pas mettre sa voile du bon côté et gouverner sa barque en perfection. Souvenez-vous, très estimable critique, de ce que dit un grand poète russe de Mazeppa :

Avec quels épanchements menteurs,
Avec quelle bonhomie, dans les festins
Le vieux bavarde avec les vieillards
Et déplore le bon temps passé.
Il vante la liberté avec les indépendants,
Blâme le pouvoir avec les mécontents,
Vers des larmes avec ceux que l’injustice aigrit,
Tient aux sots des discours à leur portée…

« Que de contradictions en apparence ! Et pourtant il n’en est rien, car tout cela servait au but que Mazeppa s’était fixé. Supposons que les gens auxquels il tenait de pareils discours se fussent imaginé tous d’écrire sa caractéristique ; ils se seraient contredits les uns les autres, mais sans que cela dût annuler la valeur de chacun de leurs témoignages. »

Pareillement il n’y a pas de contradiction à ce que les idées de la Révolution aient produit un Napoléon qui, à son tour, les a étouffées, tout comme il n’y a pas de contradiction à ce que les caractères propres à un pays manifestent leur influence sur un