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Entre Ealsbourne et Tunbridge, à proximité de la Croix-en-Main, la route coupe de vastes landes solitaires. Une auto la descendait lentement un soir des derniers jours de cet été vers onze heures et demie. La longue et mince voiture roulait avec une moelleuse douceur, dans un gentil ronron. Sous les feux coniques de ses phares, les bordures de gazon et les bouquets de bruyères défilaient comme des bandes dorées d’un cinématographe, laissant, à l’entour et après, les ténèbres plus épaisses ; seule, une tache de rubis courait à l’arrière sur la route, mais le halo de la lanterne n’éclairait aucun numéro. L’auto était d’un modèle de tourisme, découverte. Jusque dans l’obscurité de cette nuit sans lune, on n’eût pu faire autrement que de remarquer la singulière imprécision de ses lignes. Et cette anomalie se fût expliquée dans l’instant où la voiture, passant devant la porte ouverte d’un cottage, en reçut un coup de lumière ; toute sa carrosserie était, en effet, drapée dans une toile grise flottante ; une sorte de housse enveloppait son capot.

Elle avait pour conducteur, et pour occupant unique, un homme de stature élevée, de large carrure. Plié en deux sur le volant, il portait, rabattu au ras des yeux, son feutre tyrolien, et dans l’ombre de son couvre-chef rougeoyait la lueur d’une cigarette ; un ulster de ratine sombre l’engonçait jusqu’aux oreilles. La tête en avant, les épaules arrondies, il semblait, tandis que l’auto glissait à moteur débrayé sur la pente de la route, chercher du regard, dans l’ombre, quelque chose d’impatiemment attendu.

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Une trompe d’auto mugit, très loin, vers