calmer, j’ai fait venir un avocat qui aura peut-être plus de succès que moi. »
Il ouvrit la porte et fit entrer un homme et une femme.
— Lord Saint-Simon, permettez-moi de vous présenter à M. et Mme Francis Hay Moulton. Vous avez déjà, je crois, rencontré cette dernière. »
À la vue des nouveaux venus, notre client s’était levé brusquement, et très raide, les yeux fixés sur le plancher, la main passée dans sa redingote, il prit l’attitude d’un homme dont la dignité a été atteinte. Mrs Moulton s’était avancée vivement, et lui avait tendu une main qu’il refusait de voir. Je suis sûr que sa rancune eût disparu en un instant s’il avait consenti à regarder le charmant visage qui se tournait vers lui.
— Vous êtes fâché, Robert, dit-elle, et vous avez pour cela de bonnes raisons.
— Pas d’excuses, je vous prie, dit lord Saint-Simon, amèrement.
— Oh ! si ; je sais que je vous ai fort maltraité, et que j’aurais dû vous tout expliquer avant de partir, mais j’étais comme folle, et depuis le moment où j’ai revu Frank que voici, je n’ai plus su ni ce que je faisais, ni ce que je disais. Ça m’épate de ne pas être tombée en syncope devant l’autel.
— Peut-être, master Moulton, aimeriez-vous mieux que mon ami et moi nous nous retirions pour vous permettre de vous expliquer librement.
— Si j’ai voix au chapitre, remarqua l’étrange personnage, qui avait nom Mr Moulton, il me semble qu’il n’y a eu déjà que trop de mystère dans tout ceci. Pour ma part je voudrais que l’Europe et l’Amérique entière connussent la vérité. »
L’homme qui parlait ainsi était petit, sec, brûlé par le soleil, avec un visage intelligent et des manières brusques.
— Eh bien ! je vais tout vous dire, reprit sa femme. Nous nous sommes connus, Frank et moi, en 81, au camp de Mac Quire, auprès des Montagnes Rocheuses, où p’pa travaillait dans une concession. Nous nous fiançons, mais voilà qu’un jour p’pa tombe sur un riche filon, et se fait un sac énorme, pendant que ce pauvre Frank, lui, ne trouvait rien dans sa concession.
« Plus p’pa devient riche, plus Frank devient pauvre, si bien qu’à la fin p’pa ne voulut plus entendre parler de mariage et m’emmena à Frisco. Mais Frank ne voulait pas me lâcher, alors il me suivit et nous continuâmes à nous voir sans que p’pa le sût. Ça l’aurait rendu fou, et nous nous cachions de lui. Puis Frank me dit qu’il allait travailler à se faire un sac aussi, et qu’il ne reviendrait jamais me chercher tant qu’il ne serait pas aussi riche que p’pa. Je lui promis de l’attendre indéfiniment, et de ne pas me marier tant qu’il vivrait.
« — Pourquoi ne pas demander à un pasteur de nous marier tout de suite, dit-il ; je n’exigerai rien de vous avant mon retour, mais au moins comme ça, je serai plus tranquille. »
« Après avoir bien réfléchi, nous nous décidâmes à nous présenter devant un révérend que Frank avait prévenu, et nous nous mariâmes sans tambour ni trompette. Puis Frank partit pour faire fortune et je restai avec p’pa.
« La première lettre de Frank était du Montana ; ensuite il alla prospecter dans l’Arizona, et enfin il m’écrivit du Nouveau Mexique. Après cela, je lus dans les journaux le récit tragique d’un camp de mineurs attaqués par les Indiens Apaches, et le nom de mon Frank se trouvait parmi les morts. Je m’évanouis du coup, et je fus très malade pendant plusieurs mois. P’pa me crut perdue et il consulta presque tous les docteurs de Frisco. Pas un mot de nouvelles pendant un an et plus, si bien que je ne doutais plus de la mort de Frank. Alors, lord Saint-Simon vint à Frisco, puis nous allâmes à Londres, et mon mariage s’arrangea ; p’pa était très content, mais moi je sentais qu’aucun homme sur la terre ne pourrait jamais prendre dans mon cœur la place qu’y avait occupée, mon pauvre Frank.
« Cependant, si j’avais épousé lord Saint-Simon, j’aurais fait mon devoir vis-à-vis de lui. On ne commande pas à son cœur, mais on commande à sa volonté. J’allai à l’autel avec l’intention d’être réellement une femme honnête et dévouée autant que je m’en sens capable. Vous