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66        NOUVELLES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES

K.K.K. et pourquoi s’acharne-t-il sur cette pauvre famille ?

Sherlock Holmes ferma les yeux, plaça ses coudes sur les bras du fauteuil, et joignit le bout de ses doigts.

— Le logicien idéal, dit-il, dès qu’il a connaissance d’un fait dans tous ses détails, devrait non seulement en déduire la suite des événements qui l’ont précédé, mais aussi toutes les conséquences.

« De même que Cuvier pouvait décrire un animal tout entier par la seule étude d’un os, de même l’observateur, qui a bien examiné un événement pris dans une série, devrait être capable de déterminer tous les autres, ceux qui précèdent comme ceux qui suivent. Nous n’avons pas encore saisi les conséquences auxquelles la raison seule peut nous amener. On peut résoudre par l’étude certains problèmes qui ont défié les efforts de la seule raison. Toutefois, pour arriver à la perfection de l’art, il faut que le logicien soit capable de tirer parti de tous les faits portés à sa connaissance ; ceci implique, comme vous allez le voir, une science profonde, chose rare même à notre époque d’enseignement gratuit et encyclopédique. Il n’est pas impossible cependant qu’un homme arrive à connaître tout ce qui est nécessaire à sa profession ; je puis dire que tel a été le but de ma vie. Si j’ai bonne mémoire, vous avez un jour, au début de notre amitié, défini et limité ma science d’une façon très précise.

— Oui, répondis-je en riant. C’était un singulier document. La philosophie, l’astronomie et la politique étaient cotées zéro, je m’en souviens ; en botanique votre science était inégale ; en géologie, profonde, en ce qui concerne les taches de boue lorsque cette boue était prise dans un rayon de 50 kilomètres de la ville. Je vous avais qualifié d’excentrique en chimie, je trouvais que vous manquiez de méthode en anatomie, mais que vous étiez incomparable en littérature sensationnelle et en études de crime ; joueur de violon, boxeur, homme de loi et d’épée, monomane de cocaïne et de tabac. Telles sont, je crois, les principales lignes de mon analyse.

Holmes fit la grimace à ces derniers mots :

— Eh bien ! reprit-il, j’ai dit et je répète qu’un homme devrait garder dans sa petite cervelle tout ce qui peut lui être utile ; quant au surplus il l’entasserait dans sa bibliothèque en attendant qu’il en ait besoin. Ainsi, pour un cas comme celui qui vient de nous être soumis ce soir, nous avons besoin de faire appel à toutes nos ressources. Donnez-moi, je vous prie, la lettre K de l’Encyclopédie américaine qui est à côté de vous sur le rayon. Merci. Maintenant examinons la situation et voyons ce que nous pouvons en déduire. Tout d’abord nous pouvons hardiment présumer que le colonel Openshaw avait quelque raison spéciale d’abandonner l’Amérique. Un homme de son âge n’aime pas volontiers à changer ses habitudes et à quitter le charmant climat de Floride, pour venir s’isoler dans une petite ville de province, en Angleterre. Son grand amour de la solitude me fait croire qu’il était poursuivi par la crainte de quelqu’un ou de quelque chose, et nous pouvons supposer que c’est cette crainte qui lui a fait abandonner l’Amérique. Quant à l’objet même de sa crainte, nous ne pouvons le déterminer que d’après les terribles lettres que lui-même et ses héritiers ont reçues. Avez-vous remarqué les timbres de ces lettres ?

— La première venait de Pondichéry, la deuxième de Dundee, la troisième de Londres.

— De Londres Est ; que pouvez-vous en déduire ?

— Ces trois villes sont des ports ; j’en conclus que l’auteur de ces lettres était à bord d’un bateau.

— Parfait ; nous tenons déjà un bout du fil ; l’écrivain était à bord d’un bateau. Continuons l’examen pour la lettre de Pondichéry : sept semaines se sont écoulées entre la menace et la réalisation de la menace ; pour celle de Dundee l’intervalle n’a été que de trois ou quatre jours. Y voyez-vous un indice ?

— Celui d’une grande distance parcourue par l’auteur de la missive.

— Oui, mais la lettre a aussi parcouru cette même distance.