38 NOUVELLES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES
Cela dura jusqu’au delà de Reading. Alors il roula tous ses papiers en une boule énorme qu’il lança dans le filet, puis se tournant vers moi :
— Avez-vous entendu parler de l’affaire ? me demanda-t-il.
— Je n’en connais pas le premier mot ; je n’ai pas lu les journaux depuis plusieurs jours.
— La presse de Londres n’a été qu’imparfaitement renseignée. Je viens de parcourir les journaux nouvellement parus afin d’achever de m’édifier. Il me semble toutefois que c’est un de ces cas, très simples en apparence, mais d’autant plus difficiles à expliquer.
— Ceci me paraît quelque peu paradoxal, cher ami.
— C’est pourtant très vrai. L’originalité me fournit presque toujours un indice certain. Plus un crime est banal, plus il est difficile d’en faire la preuve. Dans l’affaire qui nous occupe il y a cependant de très fortes présomptions contre le fils de la victime.
— Il s’agit, alors, d’un assassinat ?
— On le suppose. Mais je ne veux pas me prononcer avant d’avoir fait mon enquête. Voici, en quelques mots, les faits tels que je les comprends :
La ville de Boscombe est un canton situé près de Ross dans le Herefordshire. Le plus important propriétaire de cette région est un M. Turner qui a fait sa fortune en Australie et qui est revenu dans son pays natal depuis quelques années seulement. L’une de ses fermes, celle de Hatherley, était louée à M. Charles Mac Carthy, un Australien aussi. Ces deux hommes, s’étant connus aux colonies, il était tout naturel qu’ils aient cherché à se rapprocher. Turner était le plus riche ; Mac Carthy devint son fermier, ce qui ne les empêcha pas de vivre sur le pied de la plus parfaite égalité et de se promener souvent ensemble. Ils étaient veufs tous deux ; Mac Carthy n’avait qu’un fils de dix-huit ans ; Turner une fille unique du même âge. Ni l’un ni l’autre n’avaient recherché la société du voisinage ; ils vivaient retirés, ne fréquentant que les réunions de courses dont ils étaient grands amateurs. Mac Carthy avait deux serviteurs, un homme et une femme, tandis que Turner avait une maison mieux montée qui se composait de six domestiques au moins. Voilà tout ce que je sais quant à la famille.
Passons aux faits :
Le 3 juin, c’est-à-dire lundi dernier, Mac Carthy quitta sa maison de Hatherley vers trois heures de l’après-midi, et descendit à pied à la mare de Boscombe, petit étang formé par le débordement de la rivière qui arrose la vallée du même nom. Il était allé dans la matinée à Ross avec son domestique, auquel il aurait dit qu’il se pressait parce qu’il avait un rendez-vous important à trois heures. Il s’y est rendu, mais n’en est pas revenu vivant.
La distance de Hatherley à la mare de Boscombe est de cinq cents mètres et deux personnes ont rencontré Mac Carthy sur la route. L’un de ces témoins est une vieille femme dont on ne donne pas le nom ; l’autre est William Crowder, un garde aux gages de M. Turner. Tous deux affirment que M. Mac Carthy était seul. Le garde ajoute que, quelques instants après avoir vu passer M. Mac Carthy, il a rencontré son fils, M. James Mac Carthy, suivant la même route, un fusil sous le bras. Il lui semble qu’à ce moment le père était encore en vue et que le fils le suivait de près. Il n’attacha, du reste, aucune importance à ce fait et s’en souvint seulement le soir, lorsqu’il apprit le drame qui avait eu lieu.
Les deux Mac Carthy ont été vus encore un instant après. La mare de Boscombe est bordée d’herbes et de roseaux qui poussent jusque dans l’eau et elle est entourée d’épais taillis. Une fillette de quatorze ans, Patience Moran, fille du portier du domaine de Boscombe-Valley, affirme que, en ramassant des fleurs dans le bois, elle vit sur le bord de l’étang, M. Mac Carthy et son fils qui semblaient se disputer violemment. Elle entendit M. Mac Carthy père injurier son fils et elle vit celui-ci lever la main dans l’intention de le frapper. Elle fut si effrayée qu’elle se sauva, et dit à sa mère, en rentrant, qu’elle avait laissé les deux Mac Carthy se disputant près de l’étang de Boscombe et qu’elle craignait qu’ils n’en vinssent à des