Page:Doyle - Nouvelles Aventures de Sherlock Holmes.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.

26        NOUVELLES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES

de chez moi, furieuse de l’indifférence de M. Windibank, mon père, dans une question aussi grave. Il n’a voulu ni prévenir la police ni venir vous voir ; c’est sur son refus de faire aucune démarche et sa persistance à répéter qu’après tout le mal n’était pas bien grand, que furieuse j’ai revêtu mes effets pour courir chez vous.

— Votre père ? dit Holmes, vous vouliez dire votre beau-père, puisqu’il ne porte pas le même nom que vous.

— Oui, mon beau-père ; je l’appelle mon père, tout étrange que cela paraisse, vis-à-vis d’un homme qui n’est que de cinq ans et cinq mois plus âgé que moi.

— Et votre mère est en vie ?

— Oh ! oui, et elle a une excellente santé. Je n’ai pas été très satisfaite de la voir se remarier si vite après la mort de mon père et épouser un homme qui avait près de quinze ans de moins qu’elle. Mon père était plombier et habitait Tottenham-Court road. Il laissa en mourant un bon fonds de commerce que ma mère continua à faire valoir avec l’aide de M. Hardy le contremaître : mais sous l’influence de M. Windibank, placier en vins, et par conséquent dans une situation meilleure que la sienne, elle vendit son fonds avec la clientèle. Elle toucha, capital et intérêts, cent dix-sept mille cinq cents francs, somme bien inférieure à celle que mon père eût touchée s’il eût vécu.

Je pensais que ce récit aussi extravagant qu’inutile lasserait la patience de Holmes, mais, à mon grand étonnement, il semblait écouter avec le plus vif intérêt.

— Est-ce que c’est sur cette vente que votre petit avoir a été constitué ?

— Oh ! non, monsieur, c’est chose complètement séparée puisque c’est un legs qui m’a été laissé par mon oncle Ned Auckland et qui est représenté par des actions de la Nouvelle-Zélande rapportant quatre et demi pour cent. Le capital de soixante-deux mille francs est inaliénable et je n’en puis toucher que les intérêts.

— Vous m’intéressez beaucoup, dit Holmes. Et puisque votre revenu s’élève à deux mille cinq cents francs par an, sans compter ce que vous gagnez en dehors de cela, vous avez les moyens de vous payer quelques petits voyages et bien des fantaisies. Il me semble qu’une femme seule peut se tirer parfaitement d’affaire avec un revenu d’environ quinze cents francs.

— Je vivrais confortablement avec une somme inférieure à celle-là, monsieur Holmes, mais vous comprenez que tant que j’habite chez mes parents, je ne puis et ne veux être à leur charge, de sorte que je leur laisse la jouissance de mes revenus. Bien entendu, cela n’aura qu’un temps. M. Windibank touche mes coupons tous les trimestres et les verse à ma mère ; pour moi, je me suffis parfaitement à moi-même avec les appointements qu’on me donne pour mes copies ; cela me rapporte vingt centimes par feuille et je puis en faire de quinze à vingt par jour.

— Vous m’avez très clairement exposé votre situation, dit Holmes. Je vous présente mon ami le docteur Watson ; vous pouvez parler devant lui aussi librement que devant moi. Soyez donc assez aimable pour nous dire tout ce que vous savez sur M. Hosmer Angel.

Miss Sutherland rougit légèrement, et elle se mit à jouer nerveusement avec la frange de sa jaquette.

— Je l’ai rencontré pour la première fois, dit-elle, au bal des gaziers. Cette corporation envoyait toujours des invitations à mon père de son vivant et continue, maintenant qu’il n’est plus, si bien que ma mère en a reçu une ces jours-ci. M. Windibank n’était pas d’avis que nous allions à ce bal ; il est toujours opposé à ce que nous acceptions quoi que ce soit, et serait absolument furieux si j’allais aux réunions scolaires des dimanches. Mais cette fois-ci ma résolution était prise ; je voulais aller à ce bal et de quel droit m’en eût-il empêchée ? Il nous objectait que ce bal serait mal composé, mais ce n’était pas mon avis car tous les amis de mon père devaient s’y trouver. Il ajoutait que je n’avais pas de quoi m’habiller, alors que j’avais dans mon armoire une robe de peluche