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LES FALAISES DU MONDE PERDU

Tel est, vu de la plaine, le formidable rempart qui sépare encore aujourd’hui la terre de Maple Whitele du monde civilisé. Cette curieuse photographie est un des rares documents rapportés en Europe par Challenger et ses amis.

peut-être, un jour ou l’autre, raison de nous. Zambo portera-t-il ces lettres jusqu’au fleuve ? Un miracle fera-t-il que je m’en revienne moi-même avec elles ? Ou finalement quelque audacieux explorateur, empruntant, pour voler sur nos traces, les ailes d’un aéroplane, découvrira-t-il les pages de ce mémorial ? De toute façon, elles me paraissent destinées à survivre et à devenir classiques.

Une période nouvelle s’est ouverte pour nous le lendemain du jour où la félonie de Gomez nous eut faits prisonniers du plateau. L’incident qui l’inaugura n’était pas pour nous donner une idée bien favorable du pays où nous nous trouvions. En m’éveillant, le matin, d’un court sommeil, je m’avisai que mon pantalon, retroussé un peu au-dessus de la chaussette, laissait voir sur ma jambe une espèce de grain de raisin épais et rougeâtre. Surpris, je me penchai, je saisis le grain de raisin entre l’index et le pouce, et il s’écrasa, lançant de tous les côtés des jets de sang. Au cri que je poussai, les deux professeurs accoururent.

— Très intéressant, fit Summerlee, plié en deux sur mon tibia : une énorme tique suceuse, qui ne doit pas encore, que je sache, être classée.

— Première récompense de nos peines, dit Challenger, dans un mugissement pédantesque. Nous ne pourrons moins faire que de nommer cet insecte Ixodes Maloni. Le petit inconvénient d’une morsure ne saurait contrebalancer le privilège glorieux d’avoir votre nom inscrit à tout jamais dans les annales de la Zoologie ! Quel malheur que vous ayez détruit ce beau spécimen en plein état de satiété !

— Sale vermine ! m’écriai-je.

Challenger fronça les sourcils ; mais posant sur mon épaule une main apaisante :

— Apprenez donc à tout considérer avec détachement, du point de vue scientifique ! Pour un homme tel que moi, enclin à la philosophie, la tique suceuse, avec sa trompe en forme de lancette et son estomac extensible, constitue un chef-d’œuvre de la Nature, non moins que le paon, par