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ton avait sur lui une lampe électrique : il s’en servit pour éclairer notre marche. Il s’avançait, précédé d’un petit rond de lumière, et nous suivions sur ses talons, en file indienne.

La caverne était l’œuvre des eaux, qui en avaient poli les parois et jonché le sol de galets ronds. Il fallait se baisser pour s’y introduire. Pendant cinquante yards, elle courait presque droit dans la roche ; puis elle s’élevait de quarante-cinq degrés ; puis la pente devenait encore plus rapide, si bien qu’à la fin nous nous trouvâmes grimper sur les genoux et sur les mains, en faisant rouler derrière nous de la rocaille. Brusquement, lord Roxton poussa un cri :

— Fermé !

La lumière jaune de la lampe nous montrait un amoncellement de blocs murant le passage.

— La voûte s’est effondrée !

Nous écartâmes quelques-uns des blocs, sans autre résultat que de nous exposer à l’écrasement, car les plus gros, n’étant plus soutenus, menaçaient de dégringoler la pente. Évidemment, l’obstacle braverait tous les efforts. Le chemin par où avait passé Maple White n’était plus libre.

Muets et découragés, nous redescendîmes à tâtons dans le noir. Mais avant que nous eussions regagné le bas de la falaise, il se produisit un fait auquel les événements survenus depuis donnent une importance.

Nous formions un petit groupe à quelques pieds sous l’orifice de la caverne, quand un bloc énorme s’abattit près de nous avec une force terrible. Nous l’avions échappé belle ! Et comme nous nous demandions d’où le bloc avait pu partir, nos métis, qui en ce moment débouchaient tout juste de l’orifice, nous dirent qu’ils l’avaient vu rouler devant eux. Il fallait donc qu’il fût parti du sommet de la crevasse. Nous levâmes les yeux, mais sans distinguer aucun mouvement dans l’amas des broussailles vertes. Cependant, nous ne pouvions pas douter que la pierre nous visât : preuve qu’il y avait sur le plateau une humanité, et une humanité hostile !

Nous battîmes en retraite, vivement émus de l’incident et préoccupés de ses suites éventuelles. Notre situation n’avait déjà rien de gai auparavant ; elle pouvait devenir tragique si l’opposition volontaire de l’homme aidait à l’aveugle obstruction de la nature ! Et pourtant, quand nous regardions, à quelques centaines de pieds au-dessus de nous, cette riche bordure de végétation et d’arbres, lequel de nous eût conçu l’idée de repartir pour Londres sans l’avoir fouillée dans ses profondeurs ?

De retour au camp, nous convînmes, en discutant la situation, que le meilleur parti à prendre était de continuer notre exploration circulaire afin de trouver un moyen d’atteindre au plateau. La ligne de la falaise, sensiblement plus basse, commençait d’obliquer vers le nord ; supposé qu’elle représentât l’axe d’un cercle, la circonférence ne pouvait être très grande. Au pis aller, nous nous retrouverions dans quelques jours à notre point de départ.

Nous fîmes, ce jour-là, une marche de vingt-deux milles, sans voir s’ouvrir aucune perspective nouvelle. Un détail que je note : nous savons par le baromètre que, depuis l’endroit où nous avons laissé nos canots, le niveau du sol s’élève d’une façon assez constante pour que nous soyons aujourd’hui à une altitude de trois mille pieds. Il en résulte des différences très grandes de température et de végétation. Nous voilà débarrassés de ces myriades d’insectes qui rendent odieuse au voyageur la région des tropiques. Quelques palmiers se montrent encore, et aussi beaucoup de fougères arborescentes ; mais nous avons laissé loin les grands arbres de l’Amazone. J’ai eu plaisir à revoir le convolvulus, la fleur de la passion, le bégonia, qui tous, au milieu de ces roches inhospitalières, me rappellent le pays. Un bégonia rouge, entre autres, avait exactement la nuance de celui qui pousse dans un pot à l’une des fenêtres de certaine villa de Streatham… Mais je glisse à des souvenirs intimes.

La nuit qui suivit cette première journée de reconnaissance, nous eûmes une aventure qui leva tous nos doutes sur les merveilles dont nous étions si près.

En lisant ceci, mon cher monsieur Mc Ardle, vous vous rendrez compte, peut-être pour la première fois, que je n’ai pas embarqué le journal dans une folle entreprise, et que nous pouvons nous promettre quelques numéros sensationnels pour le jour où le professeur voudra bien autoriser la publication de ces articles. Je ne me risquerais d’ailleurs pas à les publier, par crainte qu’on me prît pour le plus éhonté bluffeur qui ait jamais sévi dans le journalisme, si d’abord je ne rapportais mes preuves en Angleterre. Je suis sûr qu’à cet égard vous partagez mon sentiment et que vous n’engageriez pas le crédit de la Gazette sans avoir de quoi résister à l’iné-