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vous contant, d’une façon simple et intéressante, l’histoire, telle qu’il la conçoit, de notre planète. Les conférences populaires n’exigent de ceux qui les suivent aucun effort ; mais Mr. Waldron ne m’en voudra pas (Le professeur cligne de l’œil vers le conférencier) si j’ajoute que, pour se mettre à la portée d’un public ignorant (Applaudissements ironiques), elles se condamnent à rester superficielles et à créer des idées fausses. Les conférenciers populaires sont, par nature, des parasites. (Furieux gestes de protestation de Mr. Waldron.) Ils exploitent, dans un sentiment de réclame et de lucre, l’œuvre de leurs confrères pauvres et ignorés. Le plus petit fait nouveau obtenu dans un laboratoire, la plus modeste pierre apportée à l’édifice de la science pèsent bien autrement qu’un de ces exposés accessoires qui aident à passer une heure d’oisiveté, mais ne laissent derrière eux aucune trace utile. Et j’avance cela, que je tiens pour l’évidence même, non par désir de dénigrer spécialement Mr. Waldron, mais afin que vous n’alliez pas perdre le sens des proportions et prendre l’acolyte pour le grand-prêtre (Mr. Waldron glisse quelque chose à l’oreille du président, qui, se levant à demi, glisse sévèrement quelque chose à sa carafe.) Je n’insiste pas (Hilarité bruyante et prolongée).

J’ai hâte d’en venir, avec votre permission, à un sujet d’un intérêt plus vaste. Sur quel point ai-je, tout à l’heure, au nom de mes recherches personnelles, révoqué en doute les assertions du conférencier ? Sur la permanence de certaines formes de la vie animale. Je ne parle pas en amateur, ni même en conférencier populaire, je parle en homme de science et de conscience, étroitement attaché aux faits, en soutenant que Mr. Waldron se trompe quand, pour n’avoir jamais vu de ces animaux que l’on qualifie de préhistoriques, il affirme que ces animaux n’existent plus. Ces animaux sont bien, comme il l’a dit, nos ancêtres ; mais ils sont, passez-moi l’expression, nos ancêtres contemporains ; et l’on peut, de nos jours, même, les revoir, les identifier dans leur formidable hideur, si l’on a seulement l’intrépidité de les chercher où ils se trouvent. Oui, des animaux supposés jurassiques, des monstres qui pourchasseraient et dévoreraient les plus grands, les plus féroces de nos mammifères, existent encore (Cris : Des blagues ! — La preuve ! — La question ! — Comment le savez-vous ?) Comment je le sais ? Je le sais pour les avoir relancés dans leur retraite. Je le sais pour les avoir vus (Applaudissements. Bruits. Une voix : « Menteur ! ») On me traite de menteur ? (Assentiment bruyant.) Ai-je entendu quelqu’un me traiter de menteur ? Que la personne qui m’a traité de menteur ait la bonté de se lever et de se faire connaître (Cri : « Voilà, Monsieur ! » Et des mains, au-dessus d’un groupe d’étudiants, élèvent un inoffensif petit homme à besicles, qui se débat de toutes ses forces.) Vous avez osé me traiter de menteur ? (« Non, Monsieur ! non ! proteste l’accusé » ; et il disparaît comme un diable dans sa boîte.) Si quelqu’un dans l’assistance contestait ma véracité, je m’en expliquerais volontiers avec lui après la séance (« Menteur ! »). Qui a dit cela ? (L’inoffensif petit homme, en dépit d’une résistance héroïque, est de nouveau élevé dans les airs.) Si je descends parmi vous… (Chœur général : « Descends, Amour, descends ! » qui interrompt un moment la séance ; le président, debout, agitant à la fois les deux bras, semble battre la mesure. Challenger, congestionné, les narines dilatées, la barbe hérissée, est maintenant dans l’état de frénésie de Berserk, le héros Scandinave, quand il voit les champs de bataille.) Toute grande découverte a rencontré la même incrédulité, marque ignominieuse d’une génération de fous. En présence des grands faits, vous


résumé (suite)

plus les formes du singe que celles de l’homme : seul, un front énorme dénote chez lui une intelligence exceptionnelle. La conversation déchaîne rapidement une colère terrible chez le professeur, qui s’élance sur son visiteur en proférant des injures. Les deux hommes roulent ensemble jusque dans la rue et sont séparés par un policeman qui arrêterait le professeur si Édouard Malone n’assumait dans l’affaire sa part de torts. Toujours bourru, mais reconnaissant, Challenger consent alors à satisfaire la curiosité du journaliste. Il raconte, en exigeant de celui-ci la promesse d’une absolue discrétion, qu’il a découvert en Amérique une contrée inexplorée où subsistent – chose incroyable et qu’il affirme néanmoins – des représentants vivants de la faune préhistorique. Malone promet le secret, et son hôte l’invite à assister le soir même à une conférence du naturaliste Percival Waldron sur les Époques terrestres. Au cours de cette conférence. Challenger placé sur l’estrade, non loin de l’orateur, l’interrompt à plusieurs reprises par ces mots énigmatiques : « La question ! » qui déchaînent dans l’assistance un tumulte assourdissant.