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LA NOUVELLE CHRONIQUE

vous voir dans le cas où, par hasard, une autre explication se serait offerte à vous. Mais il ne pouvait y en avoir d’autre. Ma conviction était faite : pour des raisons d’argent, et peut-être dans l’espoir que, si toute sa famille devenait folle, il en administrerait la fortune, Mortimer Tregennis avait utilisé la racine de pied du diable, déterminé la folie chez ses deux frères et tué sa sœur Brenda, le seul être humain que j’aie jamais aimé ou qui m’ait jamais aimé. Son crime était tangible : quel devait être son châtiment ?

Ferais-je appel à la loi ? Mais où étaient mes preuves ? Ce n’était pas tout que de savoir la vérité : un jury campagnard accepterait-il, sur ma parole, une histoire aussi fantastique ? Les chances étaient diverses, et je ne voulais pas d’un échec ; mon âme criait vengeance. Je le répète, monsieur Holmes : ayant passé la plus grande partie de ma vie en dehors de la loi, j’ai fini par n’obéir souvent qu’à moi-même. Ce fut le cas cette fois. Je décidai que Mortimer Tregennis s’imposerait le sort qu’il avait imposé aux autres. Ou bien alors, c’était moi qui, de mes propres mains, ferais justice. Il n’est pas, à l’heure présente, en Angleterre, un homme pour qui la vie ait moins de prix que pour moi.

Je vous ai dit tout ce que j’avais à vous dire. Le reste, vous vous êtes chargé de l’apprendre par vous-même. Il est exact qu’après une nuit sans sommeil j’ai quitté de très bonne heure mon cottage. Prévoyant la difficulté d’éveiller Mortimer Tregennis, je pris, ainsi que vous l’avez remarqué, un peu de gravier dans le tas qui se trouvait devant ma grille, et je le jetai contre les vitres de sa chambre. Il descendit et, par la fenêtre, m’introduisit dans son salon. J’étalai son crime devant lui, je lui dis que je venais en juge et en exécuteur. Paralysé par la menace de mon revolver, le misérable