Page:Doyle - La Main brune.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Je vous le promets.

— Alors, allumez ce cigare ; et venez voir avec moi ma petite ménagerie. »

Nous consacrâmes l’après-midi à cette inspection. Tout y passa de sa collection exotique, oiseaux, bêtes et reptiles, les uns en liberté, les autres en cage, certains dans la maison. Il parlait avec enthousiasme de ses succès et de ses déboires, des naissances et des morts survenues dans sa ménagerie. Une joie presque enfantine lui arrachait des exclamations chaque fois que, durant notre promenade, quelque oiseau fastueux se levait devant nous dans l’herbe, ou que quelque animal étrange fuyait sous le couvert. Finalement, il m’emmena le long d’un corridor qui s’embranchait sur une aile de la maison. À l’extrémité se trouvait une lourde porte, munie d’un volet à coulisse, près de laquelle une roue à manivelle de fer et un tambour tenaient à la muraille ; et de la muraille se projetait, en travers du corridor, une rangée de solides barreaux.

« Je vais, dit Everard King, vous montrer le joyau de ma collection. Il n’en existe en Europe qu’un second spécimen à présent que celui de Rotterdam est mort. C’est un chat du Brésil.

— En quoi un chat du Brésil diffère-t-il des autres ? »

Mon cousin se mit à rire.

« Vous allez voir. Soyez assez aimable pour tirer ce volet, et regardez à l’intérieur. »

Je fis comme il disait. Devant moi se découvrit une grande salle vide, dallée de pierre, et dont le mur opposé s’éclairait de petites fenêtres grillées. Au centre, dans la traînée d’or que faisait un rayon de soleil, était couché un formidable animal, de la dimension d’un tigre, mais d’un noir luisant comme celui de l’ébène. Ce tigre n’était qu’un gigantesque chat noir, en très bel état, qui se pelotonnait dans la lumière et s’y chauffait à la manière des chats. Il était à la fois si musclé et si souple, d’une grâce féline si parfaitement diabolique, que je n’en pouvais détacher mes yeux

« Eh bien ! me demanda mon hôte avec enthousiasme, qu’en pensez-vous ? Avez-vous jamais vu une bête plus magnifique ?

— Jamais, en vérité. C’est l’élégance et la vigueur dans l’harmonie des formes.

— Certains le qualifient, à tort, de puma noir. Il mesure près de neuf pieds de la queue à la tête. Voilà quatre ans, c’était un petit tas de bourre noire avec deux yeux jaunes. Il me fut vendu comme nouveau-né dans la région sauvage des sources du Rio Negro. Sa mère avait tué douze hommes quand on eut raison d’elle à coups de lance.

— C’est donc là une espèce particulièrement féroce ?

— La plus perfide, la plus altérée de sang qu’il y ait sur terre : parlez d’un chat du Brésil à un Indien du haut pays, et vous le verrez bondir. Son gibier préféré, c’est l’homme. Le drôle que voilà ignore pour le moment le goût du sang chaud : qu’il vienne, à le connaître, ce sera terrible. Il ne supporte plus que moi dans son repaire. Even Baldwin, le groom, n’ose pas s’en approcher. Quant à moi, je lui tiens lieu de père et de mère. »

Ce disant, il ouvrit la porte, à ma grande surprise, et, l’ayant aussitôt refermée derrière lui, se glissa dans la salle. Au son de sa voix, l’énorme et souple créature se leva, bâilla, vint frotter contre lui sa grosse tête sombre : King la flattait de la main.

« Allons, Tommy ! ordonna-t-il, allons, dans votre cage ! »

Le chat, s’éloignant à reculons, alla se blottir dans un coin, sous un grillage. Everard King sortit, prit la manivelle de fer, la tourna ; et je vis la rangée de barreaux du corridor se mettre en mouvement à travers une fente du grillage et constituer avec lui une cage effective. Cela fait, King rouvrit la porte et m’invita à pénétrer dans la pièce, dont l’atmosphère s’alourdissait de ce relent acre qu’exhalent les grands carnivores.

« Vous comprenez la manœuvre, dit-il. Dans la journée, nous lui donnons pour ses ébats la largeur de la chambre ; puis, le soir, nous le réintégrons dans sa cage. Vous pouvez, du corridor, l’en faire sortir en tournant la manivelle ; et comme vous l’avez vu, l’y faire rentrer de même… Non, non ! pas cela ! »

J’avais passé ma main entre les barreaux pour caresser le flanc lustré de la bête. Mais lui, me tirant en arrière, et grave :