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que s’il me l’eût dit, qu’il savait ce qu’il y avait derrière cette porte, et que c’était quelque chose de terrible.

« Voici les clefs, Mr. Stanniford. N’oubliez pas mon avertissement. »

Il tenait un trousseau de clefs. Le jeune homme s’en saisit avidement, puis, introduisant un couteau sous le scellé décoloré, il rompit la cire. La lampe vacillait et crépitait aux mains de Perceval. Je la lui enlevai et l’approchai de la serrure, tandis que Stanniford essayait successivement les clefs. Il y en eut une enfin qui tourna dans la serrure. La porte s’ouvrit toute grande. Le jeune homme fit un pas dans la chambre. Et poussant un cri horrible, il s’affaissa devant nous, inanimé.

Si je n’avais pas pris au sérieux l’avis de Perceval et ne m’étais pas raidi contre la secousse, j’aurais certainement laissé choir la lampe. La chambre, sans fenêtre et nue, était aménagée en laboratoire de photographie, avec un évier et un robinet. Sur une étagère s’alignaient des fioles et des éprouvettes. Une odeur lourde, très particulière, moitié chimique, moitié animale, chargeait l’atmosphère. En face de nous, il y avait une table avec une chaise, et, sur cette chaise, un homme était assis, qui nous tournait le dos et semblait écrire. Comme silhouette, comme attitude, il offrait toutes les apparences de la vie ; mais au moment où la lumière tomba sur lui, je sentis se dresser mes cheveux en apercevant sa nuque livide, striée de plis, et pas plus large que mon poignet. Une poussière le recouvrait, une épaisse poussière jaune, répandue sur sa tête, ses épaules, ses mains racornies et couleur de citron. Son menton s’inclinait sur sa poitrine, sa plume reposait encore sur une feuille de papier.

« Mon pauvre maître ! sanglota Perceval, mon pauvre maître ! »

Des larmes roulaient sur son visage.

« Quoi ! dis-je, Mr. Stanislas Stanniford !

— Il était là depuis sept ans. Ah ! pourquoi donc a-t-il fait cela ? Je le priai, je l’implorai, je me traînai à ses genoux. Il n’en voulut pas démordre. Voyez-vous la clef sur la table ? Il s’était enfermé dans la chambre. Tenez, il a écrit quelque chose. Prenons-le.

— Oui, oui, prenons-le ; et pour l’amour de Dieu, adjurai-je, sortons d’ici ; l’air est du poison ! Venez, Stanniford, venez. »

Nous prîmes Stanniford chacun par un bras, et moitié le traînant, moitié le portant, nous remmenâmes dans sa chambre.

« C’était mon père ! cria-t-il en revenant à lui. Il est là, mort, sur sa chaise ! Vous le saviez, Perceval ! Et c’était cela dont vous m’avertissiez !

— Je le savais, Mr. Stanniford. J’ai toujours agi pour le mieux. Mais quelle terrible situation que la mienne ! Depuis sept ans, sept ans entiers, je sais que votre père est mort dans cette chambre.

— Et vous ne l’avez jamais dit !

— Ne me blâmez pas, Mr. Stanniford. Soyez indulgent pour un homme qui avait à remplir une bien cruelle tâche.

— La tête me tourne. Je ne saisis pas. »

Péniblement, Stanniford se souleva, cherchant la bouteille de brandy.

« Ces lettres à ma mère, à moi-même, elles étaient donc fausses ?

— Non, Mr. Stanniford ; votre père les écrivit de sa main et y mit l’adresse ; puis il me chargea de leur envoi. J’ai, en toute chose, suivi ponctuellement ses instructions. Il était mon maître, je lui ai obéi »

Le brandy avait un peu raffermi les nerfs du jeune homme.

« Dites-moi tout. À présent, je peux vous entendre.

— Eh bien, Mr. Stanniford, vous savez qu’à un moment donné votre père eut de gros ennuis. Il se figurait que de pauvres gens allaient perdre leurs économies par sa faute. C’était un homme si bon qu’il ne put supporter cette idée. Elle le poursuivait, le torturait, au point qu’il résolut d’en finir avec la vie. Ah ! Mr. Stanniford, si vous saviez mes prières, mes luttes, vous ne me feriez pas de reproches. Il me pria, lui aussi, comme personne ne m’avait jamais prié. Sa décision était prise ; rien, disait-il, ne le ferait revenir là-dessus ; mais il dépendait de moi qu’il eût une mort facile et heureuse ou une fin misérable. Je lus dans ses yeux qu’il pensait ce qu’il disait. Je finis par céder à ses instances, par consentir à faire sa volonté.

Ce qui l’attristait, c’était la mauvaise santé de sa femme. Il savait par le premier médecin de Londres que, dans son