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même. Comment, sans cela, expliquer les faits ? »

Mon raisonnement ne fut pas du goût du jeune homme.

« Monsieur Alder, répliqua-t-il froidement, vous n’avez pas eu l’avantage de connaître mon père. Je n’étais qu’un enfant quand il nous quitta ; mais il restera toujours pour moi un modèle. Il n’eut d’autres torts qu’une délicatesse excessive et trop de désintéressement. Il avait un sentiment très aigu de l’honneur, et toute explication de son départ en contradiction avec ce fait est nécessairement fausse. »

Il me plut d’entendre ce garçon tenir un pareil langage, encore qu’il eût les apparences contre lui et fût mal placé pour se faire de la situation une idée impartiale.

« Je parle en homme qui juge du dehors, lui répondis-je. Mais j’habite loin, il faut que je me retire. Votre histoire m’a tellement intéressé que je vous saurai gré de m’en faire connaître la suite.

— Laissez-moi votre carte, » dit-il. Et lui ayant souhaité une bonne nuit, je le quittai.

Je fus quelque temps sans entendre parler de l’affaire. J’arrivais presque à penser qu’elle resterait pour moi un de ces problèmes qui, échappant à la vérification directe, se résolvent par l’espoir ou le soupçon, quand, un après-midi, une carte au nom de Mr. J.-H. Perceval me fut remise dans mes bureaux d’Abchurch Lane par un homme d’une cinquantaine d’années que le clerc venait d’introduire, et qui était un individu petit, sec, avec des yeux brillants.

« Je crois, monsieur, dit-il, que mon nom vous est connu par mon jeune ami Mr. Félix Stanniford.

— En effet, répondis-je.

— Mon ami vous a parlé, autant que j’ai pu comprendre, des circonstances qui amenèrent la disparition de mon ancien patron Mr. Stanislas Stanniford, et l’apposition d’un scellé sur une chambre de son ancien domicile.

— Parfaitement.

— Et vous avez manifesté de l’intérêt pour cette affaire.

— Un extrême intérêt.

— Vous savez que nous tenons de Mr. Stanniford la permission d’ouvrir la chambre le jour où son fils aura vingt et un ans révolus.

— Je me le rappelle.

— C’est aujourd’hui que le jeune homme accomplit ses vingt et un ans.

— Et vous avez ouvert la porte ? m’enquis-je avec vivacité.

— Pas encore, monsieur, me répondit Perceval. J’ai lieu de croire qu’il vaudrait mieux que l’opération eût des témoins. Vous êtes homme de loi, au courant des faits. Pouvons-nous compter sur votre présence ?

— Sans aucun doute.

— Vous avez vos journées prises. Moi de même. Voulez-vous que nous nous retrouvions là-bas ce soir à neuf heures ?

— Avec plaisir.

— Nous vous attendrons. Au revoir. »

Il s’inclina cérémonieusement et sortit.

En me rendant, le soir, à mon rendez-vous, je me travaillais en vain à imaginer une explication plausible du mystère que nous allions éclaircir. Mon jeune ami, avec Mr. Perceval, m’attendait dans sa chambre. Sa pâleur et sa nervosité n’étaient pas pour me surprendre. Mais ce qui m’étonna, ce fut de trouver le sec petit homme dans un état d’excitation qu’il dominait à peine : il avait le sang aux joues, les mains fébriles, et il ne tenait pas en place.

Stanniford m’accueillit chaleureusement et me remercia plusieurs fois de ma venue chez lui.

« Et maintenant, Perceval, dit-il à son compagnon, je suppose qu’il n’y a plus aucun motif de tarder davantage ? J’ai hâte d’en finir. »

L’employé de banque, ayant pris la lampe, nous montra le chemin. Mais, dans le corridor, il s’arrêta ; sa main tremblante faisait, sur les grands murs nus, danser la lumière.

« Mr. Stanniford, dit-il d’une voix qui se brisait, j’espère que vous êtes armé contre toute émotion pour l’instant où le scellé sera brisé et la porte ouverte ?

— Que pourrait-il y avoir là, Perceval ? Vous voulez me faire peur ?

— Non, Mr. Stanniford. Je veux simplement vous avertir d’être prêt… de ne pas vous laisser… »

Il devait, entre chaque mot, humecter ses lèvres sèches. Et je me rendis compte, tout d’un coup, aussi nettement