Page:Doyle - Je sais tout.djvu/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mains. Un instant plus tard, le grincement d’une clef dans les vieilles serrures se fit entendre, ainsi que le bruit des verrous qu’on tirait de l’intérieur, et la porte s’ouvrit. Les Prussiens se précipitèrent dans le corridor dallé.

— Où est le comte Eustache de Château-Noir ?

— Mon maître ?… il est sorti.

— Sorti à cette heure de la nuit ? Vous jouez votre vie si vous avez l’audace de mentir.

— C’est pourtant la vérité, Monsieur, il est réellement sorti.

— Où est-il allé ?

— Je n’en sais rien.

— Bans quel but ?

— Je n’en sais rien. Il est inutile de me mettre en joue avec votre revolver. Vous pouvez me tuer, si vous voulez, mais vous n’arriverez pas à me faire dire ce que je ne sais pas.

— Sort-il souvent, d’habitude, à cette heure-ci ?

— Oui, cela lui arrive fréquemment.

— À quelle heure a-t-il coutume de rentrer ?

— Avant l’aurore.

Le capitaine Baumgarten laissa échapper un juron. Il avait donc fait buisson creux. Les réponses de cet homme étaient vraisemblablement sincères. Il eût dû s’y attendre. Tout au moins, il allait perquisitionner dans le château.

Laissant un piquet à la porte d’entrée, et un autre par derrière, le sergent et lui donnèrent l’ordre au majordome de les précéder. La bougie tremblante envoyait des silhouettes bizarres sur les vieilles tapisseries et les plafonds à poutrelles de chêne. Ils cherchèrent inutilement dans toute la demeure, depuis l’immense cuisine dallée du rez-de-chaussée jusqu’à une énorme salle à manger donnant sur une galerie. Ils ne trouvèrent rien.

La demeure était difficile à explorer. Les escaliers étroits ne permettaient le passage qu’à un seul homme à la fois. Ils aboutissaient, les uns et les autres, à des corridors tortueux ; les murs étaient si épais qu’on n’entendait aucun bruit d’une pièce à l’autre. D’énormes cheminées s’ouvraient béantes et toutes les fenêtres avaient au moins six pieds de profondeur dans le mur. Le capitaine Baumgarten frappait le sol de ses bottes, arrachait les tentures, portait des coups redoublés sur les murs énormes avec le pommeau de son sabre, mais rien ne résonnait.

À la fin, convaincu que la maison était vide, il dit à demi-voix à son sergent :

— Vous allez garder à vue ce bonhomme et veiller à ce qu’il ne communique avec personne.

— Oui, capitaine.

— Vous placerez en avant du château quatre sentinelles ; vous en ferez autant en arrière. Il est certain qu’à l’aurore notre oiseau ne manquera pas de rentrer au nid.

— Que ferai-je du reste du détachement, capitaine ?

— Mettez les hommes à souper dans la cuisine et invitez cet individu à leur fournir de la viande et du vin. La nuit est très mauvaise et nous serons mieux là que sur la route à nous tremper.

— Et vous, capitaine ?

— Je souperai ici, dans la salle à manger. Le feu est préparé dans la cheminée, il n’y a plus qu’à l’allumer. Appelez-moi à la première alerte… Que pouvez-vous me donner pour souper, hé là-bas ?

— Hélas ! Monsieur, dit le paysan, tout ce que je puis faire c’est de vous apporter une bouteille de vin de l’année, et un morceau de poulet froid.

— Cela va bien, répondit l’Allemand. Faites accompagner le gaillard d’un soldat qui lui fera sentir la pointe de sa baïonnette dans le cas où il aurait l’intention de nous jouer quelque tour, ajouta-t-il en s’adressant au sergent.


BON SOUPER, BON GÎTE.


Le capitaine Baumgarten était un vieux grognard. Il avait appris au cours de ses campagnes contre l’Autriche à se loger en pays conquis. Tandis que le majordome lui apportait son souper, il se mit en devoir de pourvoir à tous les préparatifs nécessaires pour passer confortablement la nuit. Il commença par allumer une torchère garnie de dix bougies placée sur la table du milieu. Le feu pétillait gaiement dans l’âtre, laissant pénétrer dans la pièce des nuages d’une fumée bleue et piquante. Il se rendit à la fenêtre, et regarda au dehors. La lune s’était cachée et il pleuvait à verse ; il entendait le frémissement profond du vent, et il voyait l’ombre sombre des arbres formant comme un fouillis indistinct. Cette vue lui fit apprécier davantage sa position dans une demeure bien chaude, son poulet froid, et la bouteille de vin que le majordome venait de lui apporter.

La longue marche qu’il venait de faire