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dent entre Kenyon Junction et Barton Moss.

— Si j’ai bonne mémoire, il n’y a de ce côté aucune voie de garage. Il faut donc que le spécial ait déraillé.

— Mais alors, comment l’omnibus de quatre heures cinquante ne se serait-il aperçu de rien en passant sur la même voie ?

— Nous n’avons pas le choix des hypothèses, Monsieur Hood. Il faut que cela soit. Peut-être le train local aura-t-il fait quelque observation de nature à éclaircir un peu ce mystère. Nous allons, pour plus ample informé, télégraphier à Manchester, et donner des instructions à Kenyon Junction afin qu’on examine la ligne jusqu’à Barton Moss.

La réponse de Manchester ne se fit pas attendre.

« Toujours sans renseignements du spécial. Mécanicien et conducteur omnibus certifient aucun accident entre Kenyon Junction et Barton Moss. Voie libre et présentant rien d’anormal. Manchester. »

— Ce mécanicien et ce conducteur auront de mes nouvelles, grommela M. Bland : ils auront passé sans s’en apercevoir à côté d’une catastrophe ! Évidemment, le spécial aura déraillé sans endommager la ligne. Comment ? C’est, je l’avoue, ce qui me dépasse. Mais cela ne peut pas ne pas être ; et nous allons, d’un instant à l’autre, recevoir de Kenyon Junction ou de Barton Moss un télégramme nous annonçant qu’on a découvert le train au bas d’un remblai.

La prédiction de M. Bland ne se réalisa pas. Au bout d’une demi-heure, l’on recevait du chef de station de Kenyon Junction la dépêche suivante :

« Aucunes traces du spécial manquant. Il est tout à fait certain que passa ici et n’atteignit pas Barton Moss. Avons détaché machine du train marchandises, et j’ai moi-même exploré ligne ; mais ai trouvé partout voie libre et nul signe accident. »

Éperdu, M. Bland s’arrachait les cheveux.

— Mais c’est de la folie, Hood ! criait-il. Un train ne peut pourtant pas, en Angleterre, et au beau milieu du jour, s’évaporer dans l’air ! C’est absurde ! Une machine, un tender, deux voitures, un fourgon et cinq hommes… tout cela perdu sur une ligne directe ! Si dans une heure je n’ai pas un renseignement positif, je prends l’inspecteur Collins et me mets en route.

Le renseignement positif, on l’eut enfin par un nouveau télégramme de Kenyon Junction :

« Regret vous aviser qu’on vient de trouver, parmi fourrés ajoncs, à deux milles un quart station, cadavre John Slater, mécanicien du spécial. Slater, tombé de sa machine, avait dégringolé talus. Blessures têtes, conséquence chute, semblent avoir déterminé mort. Examen minutieux des lieux n’a pas permis relever la moindre trace du spécial manquant. »

J’ai déjà dit qu’une crise politique déchirait à ce moment l’Angleterre. D’autre part, de graves événements survenus à Paris contribuaient à détourner l’attention publique : un énorme scandale menaçait dans son existence le gouvernement français et dans leur honneur un certain nombre de gros personnages. Tout cela occupait surabondamment la presse, en sorte que la disparition du train spécial n’émut pas l’opinion comme elle l’eût fait en des temps moins troublés. Plusieurs journaux de Londres n’y virent qu’une ingénieuse mystification, jusqu’au jour où l’enquête du coroner au sujet de l’infortuné mécanicien, sans donner aucun résultat