ma chambre, lorsque sir John, attiré par le bruit, ouvrit la porte du cabinet de travail et me demanda ce qui se passait. Je le lui dis, en le rassurant sur son fils. Il m’écouta sans qu’un pli bougeât sur son visage sévère ; mais l’intensité de son regard, la contraction de ses lèvres trahissaient l’émotion qu’il s’efforçait de cacher.
— Une minute ! Entrez ! Donnez-moi des détails ! fit-il en repassant la porte.
Ainsi, je me trouvai dans le petit sanctuaire où j’appris ensuite que nul n’avait mis les pieds depuis trois ans, à l’exception d’une vieille femme de ménage chargée de l’entretenir. C’était une pièce ronde — ménagée dans la tour, elle en gardait la forme, — basse de plafond, n’ayant qu’une seule étroite fenêtre à guirlandes de lierre, et meublée le plus simplement du monde. Un vieux tapis, un siège unique, une table à manger, une grande étagère à livres en constituaient tout le luxe. Sur la table était posée, debout, la photographie en pied d’une femme : je ne prêtai pas une attention particulière aux traits, mais je me rappelle qu’il s’en dégageait surtout une impression de douceur et de grâce. Il y avait là en outre une grande boîte de laque noir et un ou deux paquets de lettres ou de papiers retenus par des élastiques.
Nous ne causâmes guère, car sir John Bollamore s’aperçut que j’étais trempé et que j’avais besoin de me changer au plus tôt. Mais cette aventure me fournit l’occasion d’une intéressante conversation avec Richards. Il n’avait, lui, jamais pénétré dans la chambre que le hasard m’avait ouverte. Brûlant du désir de savoir quelque chose, il vint à moi cet après-midi même, et nous fîmes les cent pas dans l’allée du jardin, tandis qu’auprès de nous mes deux élèves jouaient au tennis sur la pelouse.
— Vous imaginez à peine, dit-il, quelle exception vient d’être faite en votre faveur. Cette chambre reste si fermée, elle reçoit de sir John des visites si assidues et si régulières, qu’elle a fait naître dans la maison une espèce de sentiment superstitieux. En vérité, s’il me fallait vous répéter tout ce qu’on raconte à propos de cette chambre — visites mystérieuses, voix entendues par les domestiques, — vous soupçonneriez sir John d’être retombé dans ses anciennes habitudes.
— Qu’entendez-vous par « retombé » ? demandai-je.
— Est-il possible que vous ignoriez les antécédents de sir John Bollamore ?
— Absolument.
— Vous me confondez. Je ne croyais pas qu’ils fussent ignorés d’un seul homme en Angleterre. Je me garderais d’en parler si vous n’étiez aujourd’hui des nôtres et si, en taisant les faits, je ne vous exposais à ce qu’on vous les présentât un jour sous une forme plus désobligeante. J’ai toujours admis que vous étiez rentré à bon escient chez Bollamore-le-Diable.
— Pourquoi « le Diable » ?
— Ah ! vous êtes jeune et le monde va vite ! Mais il y a vingt ans Bollamore portait un des noms les plus connus de Londres. Il tenait la tête de la société la plus lancée. Casseur de vitres, boute-en-train, joueur, buveur, il incarnait le dernier survivant de l’ancien type, et l’un des mauvais entre les pires.
Je regardai Richards avec stupeur.
— Quoi ! m’écriai, cet homme tranquille, studieux et triste ?
— Le plus parfait libertin, le plus grand débauché de l’Angleterre !