Page:Doyle - Du mystérieux au tragique.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.

voir. Vous n’avez, je suppose, aucune idée de ce que vous avez vu ?

— La torture infligée à une femme criminelle. Et terriblement criminelle sans doute si ses crimes furent proportionnés à sa peine.

— Nous avons cette petite consolation, fit Dacre, ramenant autour de lui les plis de sa robe de chambre et se blottissant contre le feu : ses crimes furent proportionnés à sa peine. En admettant du moins que je ne fasse pas erreur sur la personne.

— Comment la connaîtriez-vous ?

Pour toute réponse, Dacre prit dans la bibliothèque un vieux volume à couverture de vélin.

— Écoutez ceci, dit-il. C’est du français du dix-septième siècle. Je vous le traduis tant bien que mal. Vous jugerez si j’ai ou non déchiffré l’énigme.


« La prisonnière fut conduite par devant les Grand’Chambre et Tournelles du Parlement siégeant comme cour de justice, à l’effet d’y être interrogée sur le meurtre de M. Dreux d’Aubray son père, et de MM. d’Aubray ses frères, l’un conseiller au Parlement, l’autre lieutenant civil. Il semblait malaisé de croire qu’elle eût commis de tels forfaits, à voir sa petite taille, sa peau blanche et ses yeux bleus. Cependant, la Cour, l’ayant reconnue coupable, la condamna à la question ordinaire et extraordinaire, afin qu’elle désignât de force ses complices ; ensuite de quoi elle serait portée en place de Grève, pour y être sa tête tranchée, son corps brûlé et ses cendres jetées au vent. »


Ceci est daté du 16 juillet 1676.

— Intéressant, dis-je, mais non pas concluant. Où trouvez-vous la preuve que la femme du livre et la mienne n’en font qu’une ?

— J’y arrive. La suite du récit précise l’attitude de la femme durant la question.


« Lorsque l’exécuteur s’approcha, elle le reconnut aux cordes qu’il portait et lui tendit aussitôt les main, en le toisant du regard, sans prononcer une parole.


Que vous semble de ce détail ?

— Tout à fait conforme.


« Elle considéra sans sourciller le chevalet et les anneaux, qui avaient tordu tant de membres et arraché tant de cris d’agonie. Quand ses yeux tombèrent sur les trois seaux d’eau qu’on avait apportés pour elle : « Ah ! Monsieur, dit-elle en souriant, il faut qu’on apporte cette eau dans le dessein de me noyer. Vous ne comptez pas en faire avaler autant à une personne de ma taille ? »


Vous lirai-je les détails de la torture ?

— Non, par le ciel ! faites-m’en grâce !

— Voici qui vous prouvera que la scène rapportée dans ce livre est la même à laquelle vous assistiez tout à l’heure :


« Le bon abbé Pirot, incapable de supporter la vue des angoisses subies par sa pénitente, s’était enfui de la salle. »


Cela vous convainc-t-il ?

— Tout à fait. L’événement du récit est certainement celui de mon rêve. Mais qui donc était-elle, cette femme ornée de tant d’attraits, et qui eut une fin si tragique ?