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les apprentis de l’armurier

du bien et du mal, qui, sans cette sage précaution, pencherait un peu trop en leur faveur ; car, si dans un plateau, la Provence a son climat délicieux, sa mer d’azur, ses fruits savoureux, ses plaines fertiles, dans l’autre, le mistral et son sifflement furieux font contrepoids.

Le mistral, ce n’est ni le vent du nord, ni le vent du sud, ni le vent d’est, ni le vent d’ouest ; c’est tout cela à la fois, et pis encore !

Comme certain démon, rebelle aux exorcismes, le mistral s’appelle Légion, et c’est une véritable légion de diables déchaînés qui emportent, roulent, étourdissent, renversent le malheureux qui leur sert de cible volante, qui rebondit à droite, à gauche, en haut, en bas, au gré de ces formidables raquettes.

Nos deux héros, serrant leur manteau, enfonçant leur bonnet, s’arc-boutant sur leur bâton, essayaient vainement de tenir tête à l’orage ; ils faisaient deux pas en avant, trois en arrière, tombaient, se relevaient.

Enfin, haletants, moulus, assourdis, aveuglés, ils atteignirent une auberge isolée, dont la lumière tremblotante les attirait comme l’étoile des Mages.

Ils frappèrent timidement à l’huis bien clos.

Rien ne répondit d’abord. La tourmente faisait rage, la girouette grinçait lamentablement, et l’enseigne, se balançant au bout d’une corde, menaçait de choir sur la tête des imprudents, arrêtés devant la porte.

Guy frappa plus fort, puis se mit à tambouriner avec son bâton une véritable farandole.

Cette fois il eut plus de succès. Les verrous furent tirés, et un gros homme, montrant sa tête crépue par l’entrebâillement, demanda d’un ton rogue qui se permettait un semblable tapage.