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petite ingrate !

Mais quand la petite ajoute tendrement :

« Est-ce que tu ne me reconnais pas, grand’mère ? »

L’aïeule, pour toute réponse, la serre étroitement sur son vieux cœur qui saute ! saute ! sous la guimpe de grosse toile, et de chaudes larmes, glissant sur sa figure ridée, tombent comme une rosée sur le front pur de l’enfant.

Oh ! si ! elle la reconnaît bien, sa Jeannine pour qui elle a tant peiné, tant souffert ! dont le sourire séchait ses pleurs ! dont le berceau lui voilait les tombes où dormaient père, mère, frères, époux, enfants ; toutes ses tendresses résumées en ce frêle petit être !

Extasiée, ravie, elle contemple le cher visage qu’elle n’a pas revu depuis tant d’années.


✽ ✽

Il y avait cinq ans de cela ; Jeannine en avait six à peine.

La grand’mère vendait des objets de piété et autres menus souvenirs à la porte de Sainte-Anne de Loanec, dont l’humble sanctuaire, aussi visité autrefois par les pèlerins que celui de Sainte-Anne d’Auray, sa riche et vénérée voisine, était tombé en désuétude et conséquemment tombait en ruines.

À peine quelques rares baigneurs, promenant leur désœuvrement sur les plages bretonnes, poussaient-ils parfois jusque-là, et, écoutant, d’un air sceptique et blasé, les naïves légendes de la vieille bonne femme qui faisait fonction de cicerone, ils achetaient un bibelot, mettaient une piécette dans la main de la fillette, s’en allaient et ne revenaient plus.

Une année cependant la mère Yano revit si souvent la même pratique qu’elle jugea que ce devait être une personne bien pieuse et ayant une dévotion particulière à Mme Sainte Anne, bien qu’en réalité elle semblât beaucoup plus occupée de la petite Jeannine que de l’épouse vénérée de Saint Joachim ; mais